• L’eau

     

    Quelques jours plus tard, un matin (nous étions à nouveau au bord de la rivière), El Chura m’a pris par le bras et m’a soufflé à l’oreille :

       -  Aujourd’hui tu vas apprendre son langage. Elle a des choses à te dire.

       -  Comment apprendre le langage de l’eau, Chura ?

       -  Plonge ton visage dedans, et écoute.

       -  Mais, Chura, je vais m’étouffer.

       -  Cesse de te raconter des histoires. Fais ce que je te dis.

       Il a tourné les talons, et il est parti. Il n’était pas loin de midi. J’ai hésité à m’agenouiller là, sur la berge de la rivière. Quelqu’un pouvait à tout instant venir. Je craignais de passer pour un jobard si j’étais surpris à plonger ma tête dans le courant, le cul en l’air, comme un flamant rose. J’ai décidé de grimper dans la montagne, où je connaissais un petit lac.

       En haut du sentier, l’air était immobile, doux, simple. Je me suis arrêté. J’ai regardé l’eau, en bas, dans son creux volcanique. Sa lumière s’est faite aussitôt bienveillante. Un oiseau a piqué vers la surface bleue. L’eau s’est à peine émue. Je me suis dit : « Elle rit. » Je me suis laissé aller sur la pente. Mes pas ont réveillé des cailloux, ils sont partis devant en bondissant les uns par-dessus les autres, pareils à de petits êtres turbulents. Le soleil était là, suspendu au-dessus de ma tête, à rire lui aussi. Le cœur me battait fort. J’étais comme un enfant qui va vers un cadeau.

       D’un moment, sur le rivage, une sorte de timidité sacrée m’a retenu. Je craignais de faire du bruit. J’étais seul dans le silence de la montagne. Je devais accomplir un rite, et je me sentais maladroit. J’ai regardé l’herbe. Elle m‘a dit : « Va, ce n’est pas grave, c’est un jeu. » Je me suis accroupi, j’ai pris un grand coup d’air, j’ai enfoncé ma tête dans l’eau, lentement, et j’ai osé ouvrir les yeux. Le soleil, au fond, caressait le sable, et le sable scintillait. Des millions d’étoiles, au gré de la houle, naissaient, s’éteignaient, renaissaient ailleurs. Comme je contemplais cela, je me suis soudain senti prodigieusement vaste, sans questions, sans espoir, sans peur aucune, tranquille comme un dieu veillant sur l’univers. L’eau faisait à mes oreilles une rumeur d’océan. J’ai eu un instant la sensation que des mains amoureuses palpaient ma figure, mon cou, mon crâne. J’ai relevé la tête. J’ai retrouvé l’air du jour, le soleil. J’ai vu mon reflet tourmenté par la pluie de gouttelettes qui retombaient à l’eau. Je n’étais plus qu’un petit homme, presque rien. Je me suis frotté les yeux. La montagne, le ciel, l’herbe m’ont paru tout proches, complices, attentifs. J’ai plongé à nouveau et j’ai plongé encore jusqu’à m’enivrer de cette découverte : au-dedans j’étais un dieu, au-dehors j’étais un nain. Au-dedans j’étais en paix, au-dehors j’étais en doute. Je suis redescendu vers le village. El Chura m’attendait devant ma cabane. Je lui ai raconté ce qui s’était passé. Il m’a dit

       -  L’eau est une porte. Le vent, la pluie, la nuit, la neige, les pierres sont aussi des portes. Par n’importe laquelle de ces portes tu peux entrer dans la paix.

    (Henri Gougaud, Les sept plumes de l’aigle) http://www.henrigougaud.fr/

     

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  • Mon sourire

     

    Mon sourire est une souris,

    Une gentille souris rose

    Elle apparaît parfois sans cause,

    Me laissant moi-même surpris.

     

    La voyez-vous qui se tapit

    Au coin de mes lèvres mi-closes ?

    Mon sourire est une souris,

    Une gentille souris rose

     

    Mais je vous vois sourire aussi

    Comme un rosier ouvre ses rosés.

    Seriez-vous tout aussi surpris

    Que moi de cette étrange chose :

    Un sourire qui soit souris ?

     

    Maurice Carême

     

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  • La prière

     

    Prier c’est d’abord un formidable pari, celui de croire qu’il y a quelque part une oreille qui écoute ce qui nous habite. Pour moi, la prière est une ouverture, un lien avec la force de vie qui me traverse. Prier c’est se fréquenter. La prière fait partie intégrante de ma vie de foi, elle m’est indispensable.

    La vraie prière n’est pas de prendre Dieu en otage, mais de tendre l’oreille ! Il s’agit simplement de laisser la porte ouverte et notre regard change.( Francine Carrillo)

     

    Les spiritualités ont pour projet de nous aider à supporter ce que nous avons à vivre. C’est ce qui a fait dira au stoïcien Epictète : « Etre libre, c’est vouloir que les choses arrivent non comme il te plait, mais comme elles arrivent ; » Les religions orientales, et notamment le bouddhisme, sont dans la même perspectives que le stoïcisme : le but de la spiritualité est de nous permettre d’accepter le réel afin d’apprendre à l’aimer. La vie intérieure repose sur l’effort et la discipline qui conduisent à la maîtrise de soi et qui donnent à la vie cohésion et harmonie. (Antoine Nouis)

     

    La prière met en œuvre trois dimensions essentielles de la foi : l’orientation qui nous « tourne vers Dieu » L’écoute qui se fait obéissance, l’interprétation de la Parole de Dieu, qui nous permet de lire à la lumière de la foi tout ce que nous sommes amenés à vivre. Nous le pressentons déjà prier est étroitement lié à l’art de vivre selon l’évangile. Mieux encore, prier est déjà en soi un fruit de l’Esprit, un lieu où la Parole prend corps.

    Le premier et immense fruit de la prière : la foi en nous se fait vie, réelle, sensible, vivante.

    Le fruit de la prière et de recevoir la grâce de goûter en nous la saveur de la Parole. Savoir, saveur et sagesse sont de même racine. Les recevoir et recevoir la capacité de les vivre dans la foi est un grand bonheur. La prière nous l’offre. L’amour attend de nous que nous le mettions en pratique, que nous révélions et dans les gestes et dans les mots. (Régime du Charlat)

     

    Dans la prière, parfois nous ne savons pas que demander ; pouvons-nous même oser demander à Dieu des choses très concrètes ?  Qu’un examen se passe bien ? Oui nous devons avoir le courage de dire toutes nos demandes, comme des enfants. Mais nous avons besoin de comprendre que Dieu ne répond pas seulement selon notre volonté, nous ne savons pas comment il répond. Mais il prend au sérieux, il accueille toute nos demandes, même celles que nous osons à peine exprimer. Il est vrai que la prière de demande peut aussi comporter un piège : finalement, je reste le centre, je veux que Dieu serve ma volonté, ce

    la m’enferme dans mon petit moi. Il est important de s’ouvrir et de dire à Dieu : fais-moi comprendre Ta volonté, volonté d’amour et de plénitude pour moi. Nos petites ou grandes demandes doivent toujours s’accompagner du souhait que la volonté de Dieu s’accomplisse, même si nous ne la comprenons pas.

    A ceux qui n’ont pas beaucoup de temps pour prier, j’ai envie de dire : ne vous faites pas de souci, priez en marchant dans la rue, en faisant votre travail. Une phrase, quelques mots qui accompagnent notre quotidien, c’est aussi cela, la prière. (Frère Alois)

    (Extraits de la revue Croire)

     

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  • L’âge d’or

     

    Maman, plus tard, moi je serais

    Blanchisseur de nuages ou bergers d’oiseaux.

    Peut être compteur de gouttes d’eau,

    Arbitre pour combats d’escargots.

    Garde du corps pour papillons.

    Acupuncteur pour hérissons.

    Clown pour passants fatigués,

    Imprimeur pour sans-papier,

    Décorateur de coccinelles.

    Empêcheur de tomber du ciel.

    Puis j’inventerai la machine à ne rien faire

    Qui se tendra en hamac depuis la terre.

    Vers un point très lointain du vaste univers.

    Alors, on m’élira comme la plus lente

    Et la plus mignonne étoile filante.

    Respirant le grand air des galaxies

    A cheval sur l’Ourse, sur la queue de Castor,

    Employé des affaires privées de l’infini

    Je connaîtrai enfin l’âge d’or.

     

    Carl Norac

     

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  • L’enfant et le miroir

     

    Un enfant élevé dans un pauvre village

    Revint chez ses parents, et fut surpris d’y  voir Un miroir

    D’abord il aima son image :

    Et puis, par un travers bien digne d’un enfant.

    Et même d’un être plus grand.

    Il veut outrager ce qu’il aime.

    Lui fait une grimace, et le miroir la rend

    Alors son dépit est extrême :

    Il lui montre un poing menaçant ;

    Il se voit menacé lui-même.

    Notre marmot fâché s’en vient, en frémissant

    Battre cette image insolente ;

    Il se fait mal aux mains. Sa colère augmente ;

    Et furieux, au désespoir,

    Le voilà, devant ce miroir.

    Criant, pleurant, frappant la glace

    Sa mère, qui survient, le console, l’embrasse

    Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :

    « N’as-tu pas commencé par faire la grimace

    A ce méchant enfant qui cause ton dépit ? 

    Oui, regarde à présent : tu souris, il sourit

    Tu tends vers lui les bras. Il te les tend de même ;

    Tu n’es plus en colère, il ne fâche plus.

    De la société tu vois ici l’emblème :

    Le bien, le mal, nous sont rendus. »

     

    Jean Pierre Claris de Florian

     

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