• Le vieux  arbre et le jardinier

     

    Un jardinier, dans son jardin,

    Avait un vieux arbre stérile ;

    C'était un grand poirier qui jadis fut fertile :

    Mais il avait vieilli, tel est notre destin.

    Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin ;

    Le voilà qui prend sa cognée.

    Au premier coup l'arbre lui dit :

    Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit

    Que je t'ai donné chaque année.

    La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant,

    N'assassine pas un mourant

    Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,

    Répond le jardinier ; mais j'ai besoin de bois.

    Alors, gazouillant à la fois,

    De rossignols une centaine

    S'écrie : épargne-le, nous n'avons plus que lui :

    Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage,

    Nous la réjouissons par notre doux ramage ;

    Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.

    Le jardinier les chasse et rit de leur requête ;

    Il frappe un second coup. D'abeilles un essaim

    Sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête,

    Écoute-nous, homme inhumain :

    Si tu nous laisses cet asile,

    Chaque jour nous te donnerons

    Un miel délicieux dont tu peux à la ville

    Porter et vendre les rayons :

    Cela te touche-t-il ? J'en pleure de tendresse,

    Répond l'avare jardinier :

    Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier

    Qui m'a nourri dans sa jeunesse ?

    Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux ;

    C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos.

    Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance,

    Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.

    Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense,

    Et laisse vivre le vieux tronc.

     

    Comptez sur la reconnaissance

    Quand l'intérêt vous en répond.

     

    Jean-Pierre Claris de Florian. Source : www.poesie-francaise.fr 

     

    Le vieux  arbre et le jardinier

    Martinique aout 2017


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  • Les deux chats

     

    Deux chats qui descendaient du fameux Rodilard,

    Et dignes tous les deux de leur noble origine,

    Différaient d'embonpoint : l'un était gras à lard,

    C'était l'aîné ; sous son hermine

    D'un chanoine il avait la mine,

    Tant il était dodu, potelé, frais et beau :

    Le cadet n'avait que la peau

    Collée à sa tranchante échine.

    Cependant ce cadet, du matin jusqu'au soir,

    De la cave à la gouttière

    Trottait, courait, il fallait voir,

    Sans en faire meilleure chère.

    Enfin, un jour, au désespoir,

    Il tint ce discours à son frère :

    Explique-moi par quel moyen,

    Passant ta vie à ne rien faire,

    Moi travaillant toujours, on te nourrit si bien,

    Et moi si mal. La chose est claire,

    Lui répondit l'aîné : tu cours tout le logis

    Pour manger rarement quelque maigre souris...

    - N'est-ce pas mon devoir ? - D'accord, cela peut être :

    Mais moi je reste auprès du maître ;

    Je sais l'amuser par mes tours.

    Admis à ses repas sans qu'il me réprimande,

    Je prends de bons morceaux, et puis je les demande

    En faisant patte de velours,

    Tandis que toi, pauvre imbécile,

    Tu ne sais rien que le servir,

    Va, le secret de réussir,

    C'est d'être adroit, non d'être utile.

     

    Jean-Pierre Claris de Florian. Source : www.poesie-francaise.fr 

     

    Limassol


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  •  Le perroquet

     

    Un gros perroquet gris, échappé de sa cage,

    Vint s'établir dans un bocage :

    Et là, prenant le ton de nos faux connaisseurs,

    Jugeant tout, blâmant tout, d'un air de suffisance,

    Au chant du rossignol il trouvait des longueurs,

    Critiquait surtout sa cadence.

    Le linot, selon lui, ne savait pas chanter ;

    La fauvette aurait fait quelque chose peut-être,

    Si de bonne heure il eût été son maître

    Et qu'elle eût voulu profiter.

    Enfin aucun oiseau n'avait l'art de lui plaire ;

    Et dès qu'ils commençaient leurs joyeuses chansons,

    Par des coups de sifflet répondant à leurs sons,

    Le perroquet les faisait taire.

    Lassés de tant d'affronts, tous les oiseaux du bois

    Viennent lui dire un jour : mais parlez donc, beau sire,

    Vous qui sifflez toujours, faites qu'on vous admire ;

    Sans doute vous avez une brillante voix,

    Daignez chanter pour nous instruire.

    Le perroquet, dans l'embarras,

    Se gratte un peu la tête, et finit par leur dire :

    Messieurs, je siffle bien, mais je ne chante pas.

     

    Jean-Pierre Claris de Florian. Source : www.poesie-francaise.fr 

     

     Le perroquet

    Zoo de Limassol


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  • La guêpe et l'abeille

     

    Dans le calice d'une fleur

    La guêpe un jour voyant l'abeille,

    S'approche en l'appelant sa sœur.

    Ce nom sonne mal à l'oreille

    De l'insecte plein de fierté,

    Qui lui répond : nous sœurs ! Ma mie,

    Depuis quand cette parenté ?

    Mais c'est depuis toute la vie,

    Lui dit la guêpe avec courroux :

    Considérez-moi, je vous prie :

    J'ai des ailes tout comme vous,

    Même taille, même corsage ;

    Et, s'il vous en faut davantage,

    Nos dards sont aussi ressemblants.

    Il est vrai, répliqua l'abeille,

    Nous avons une arme pareille,

    Mais pour des emplois différents.

    La vôtre sert votre insolence,

    La mienne repousse l'offense ;

    Vous provoquez, je me défends.

     

    Jean-Pierre Claris de Florian. Source : www.poesie-francaise.fr 

     

    La guêpe et l'abeille

    Martinique aout 2017, Jardin de Balata


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  • La chenille

     

    Un jour, causant entre eux, différents animaux

    Louaient beaucoup le ver à soie.

    Quel talent, disaient-ils, cet insecte déploie

    En composant ces fils si doux, si fins, si beaux,

    Qui de l'homme font la richesse !

    Tous vantaient son travail, exaltaient son adresse.

    Une chenille seule y trouvait des défauts,

    Aux animaux surpris en faisait la critique,

    Disait des mais, et puis des si.

    Un renard s'écria : messieurs, cela s'explique ;

    C'est que madame file aussi.

     

    Jean-Pierre Claris de Florian. Source : www.poesie-francaise.fr 

     

     La chenille

    Martinique, aout 2017


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  • Le berger et le rossignol

     

    Dans une belle nuit du charmant mois de mai,

    Un berger contemplait, du haut d’une  colline,

    La lune promenant sa lumière argentine

    Au milieu d’un ciel d’étoiles parsemé ;

    Le tilleul odorant, le lilas, l’aubépine,

    Au gré du doux zéphyr balançant leurs rameaux,

    Et les ruisseaux dans les prairies

    Brisant de claires eaux.

    Un rossignol, dans le bocage,

    Mêlait ses doux accents à ce calme enchanteur ;

    L’écho les répétait, et notre heureux pasteur,

    Transporté de plaisir, écoutait  son ramage.

    Mais tout à coup l’oiseau finit ses tendres sons.

    En vain le berger le supplie

    De continuer ses chansons.

    « Non dit le rossignol, c’est est fait pour la vie ;

    Je ne troublerai pas ses paisibles forêts.

    N’entends-tu pas dans ce marais

    Mille grenouilles coassantes

    Qui par des cris affreux insultent à mes chants ?

    Je cède, et reconnais que mes faibles accents

    Ne peuvent l’emporter sur leur voix glapissantes.

    -Ami dit le berger, tu vas combler leur vœux ;

    Te taire est le moyen qu’on les écoute mieux ;

    Je ne les entends plus aussitôt que tu chantes. »

     

    (Jean Pierre Claris De Florian)

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  •  

    Le miroir et la Vérité

     

    Dans le beau siècle d’or, quand les premiers humains,

    Au milieu d’une paix profonde,

    Coulaient des jours purs et sereins,

    La Vérité courait le monde

    Avec son miroir dans les mains.

    Chacun s’y regardait, et le miroir sincère

    Retraçait à chacun son plus secret désir

    Sans jamais le faire rougir ;

    Temps heureux, qui ne dura guère !

    L’homme devient bientôt méchant et criminel.

    La Vérité s’enfuit au ciel,

    En jetant de dépit son miroir sur la terre.

    Le pauvre miroir se cassa.

    Ses débris qu’au hasard la chute dispersa

    Furent perdus pour le vulgaire.

    Plusieurs siècles après on en connait le prix :

    Et c’est depuis ce temps que l’on voit plus d’un sage

    Chercher avec soin ces débris,

    Les retrouver parfois ; mais ils sont si petit

    Que personne n’en fait usage.

    Hélas ! Le sage le premier

    Ne s’y voit jamais tout entier.

     

    (Jean Pierre Claris De Florian)

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  •   

    L'AVEUGLE ET LE PARALYTIQUE

     

    Aidons-nous mutuellement,

    La charge des malheurs en sera plus légère ;

    Le bien que l'on fait à son frère

    Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.

    Confucius l'a dit ; suivons tous sa doctrine :

    Pour la persuader aux peuples de la Chine,

    Il leur contait le trait suivant.

     

     

     

    Dans une ville de l'Asie

    Il existait deux malheureux,

    L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux.

    Ils demandaient au ciel de terminer leur vie :

    Mais leurs cris étaient superflus,

    Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,

    Couché sur un grabat dans la place publique,

    Soufflait sans être plaint; il en soufflait bien plus.

    L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,

    Était sans guide, sans soutien,

    Sans avoir même un pauvre chien

    Pour l'aimer et pour le conduire.

    Un certain jour il arriva

    Que l'aveugle à tâtons, au détour d'une rue,

    Près du malade se trouva;

    II entendit ses cris, son âme en fut émue.

    Il n'est tels que les malheureux

    Pour se plaindre les uns les autres.

    «J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres :

    Unissons-les, mon frère; ils seront moins affreux.

    - Hélas ! dit le perclus, vous ignorez, mon frère

    Que je ne puis faire un seul pas; Vous-même vous n'y voyez pas:

    À quoi nous servirait d'unir notre misère.

    - À quoi? répond l'aveugle, écoutez:

    à nous deux Nous possédons le bien à chacun nécessaire,

    j'ai des jambes, et vous des yeux.

    Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide

    Vos yeux dirigeront mes pas mal assures,

    Mes jambes à leur tour iront où vous voudrez:

    Ainsi, sans que jamais notre amitié décide

    Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,

    Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.»

     

    (Jean Pierre Claris De Florian)

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  •  

     

    Le Rossignol et le Prince

     

    Un jeune prince, avec son gouverneur,

    Se promenait dans un bocage,

    Et s’ennuyait suivant l’usage ;

    C’est le profit de la grandeur.

    Un rossignol chantait sous le feuillage ;

    Le prince l’aperçoit, et le trouve charmant ;

    Et, comme il était prince, il veut dans le moment

    L’attraper et le mettre en cage.

    Mais pour le prendre il fait du bruit,

    Et l’oiseau fuit.

    « Pourquoi donc, dit alors son altesse en colère,

    Le plus aimable des oiseaux

    Se tient-il dans les bois, farouche et solitaire,

    Tandis que mon palais est rempli de moineaux ?

    -      C’est lui dit le mentor, afin de vous instruire

    de ce qu’un jour vous devez éprouver :

    les sots savent tous se produire

    le mérite se cache, il faut l’aller trouver. »

     

    (Jean Pierre Claris De Florian)

     

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  • Le philosophe et le Chat-huant

    Persécuté, proscrit, chassé de son asile,

    Pour avoir appelé les choses par leur nom,

    Un pauvre philosophe errait de  ville en ville,

    Emportant avec lui tous ses biens, sa raison.

    Un jour qu’il méditait sur le fruit de ses veilles,

    C’était dans un grand bois, il voit un chat-huant

    Entouré de geais, de corneilles,

    Qui le harcelaient en criant :

    « C’est un coquin, c’est un impie,

    Un ennemi de la patrie ;

    Il faut le plumer vif : oui, plumons, plumons,

    Ensuite nous le jugerons. »

    Et tous fondaient sur lui, la malheureuse bête,

    Tournant et retournant sa bonne et grosse tête,

    Leur disait, mais en vain, d’excellentes raisons.

    Touché de son malheur, car la philosophie

    Nous rend plus doux et plus humains,

    Notre sage fait fuir la cohorte ennemie,

    Puis dit au Chat-huant : « Pourquoi ces assassins

    En voulaient-ils à votre vie ?

    Que leur avez-vous fait ? » L’oiseau lui répondit :

    « rien du tout, mon seul crime est d’y voir clair la nuit. »

     

    (Jean Pierre Claris De Florian)

     

    hibiscus réduit

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