• LE CONTEUR PHILOSOPHE 

    DE MICHEL PIQUEMAL 

     

     

    Un jeune homme arriva un jour de l'autre bout de l'île pour voir Sophios. 

     

    Les  lunettes 

     

    Ce jeune homme trouvait le monde triste et injuste. Les dirigeants étaient corrompus, les amis décevants, les bonheurs trop fugaces, les chagrins trop lourds... Ce monde valait-il vraiment la peine d'être vécu? 

    - J'ai ce qu'il te faut! lui répondit Sophios en tirant un objet de sa poche. Prends cette paire de lunettes et tu verras que, si tu le veux bien, tout changera pour toi ! 

    Le jeune homme repartit un peu perplexe. Mais dès le lendemain, il chaussa ses lunettes; or ce n'étaient que des lunettes normales, aux verres pareils à des vitres. Très en colère, il revint voir Sophios. 

    - Ce ne sont que de simples verres ! 

    - Bien sûr répliqua Sophios, car c'est à toi de changer ton regard sur le monde. Tu peux aussi bien voir ton verre de vin à moitié plein qu'à moitié vide. Tu peux te plaindre de la pluie... ou t'en réjouir parce qu'elle fait pousser les plantes, te réjouir du soleil... ou t'en plaindre parce qu'il éblouit tes yeux. Le monde passe par ton regard. À toi de chausser les lunettes que tu souhaites ! Si tu veux voir tout en gris, libre à toi, mais ne viens pas ensuite te plaindre ! 


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  • LE CONTEUR PHILOSOPHE

    DE MICHEL PIQUEMAL

    Et Sophios enchaîna aussitôt à son intention :

     

    L’inutile

     

    Pour le seconder dans ses tâches de tous les jours, le consul s'était attaché les services d'un esclave un peu rustre qu'il avait acheté par pitié sur un marché. Cet homme n'avait pour ainsi dire pas de culture, au point que les autres secrétaires l'avaient surnommé l'Inutile.<o:p></o:p>

    Alors que le consul s'apprêtait à faire un voyage vers la lointaine Gaule pour de complexes transactions commerciales, il hésita à embarquer ce secrétaire, car sa présence ne lui serait vraiment pas indispensable. Il s'agissait de commerce, de chiffres, d'impôts, choses auxquelles l'Inutile n'entendait goutte. Mais lorsque celui-ci entendit parler de bateau, il insista pour que son maître le prenne avec lui ! Sans doute venait-il d'un lointain peuple de marins... Or il advint que le navire fit naufrage. Seuls le consul et ses esclaves réussirent à s'en sortir, échoués sur une île déserte. Désemparé, le petit groupe passa la première nuit à grelotter sur le sable, mais quand le consul se réveilla, il eut la surprise de voir que l'Inutile n'avait pas perdu son temps. Durant la nuit, il avait posé des collets, qu'il avait déjà relevés. Deux magnifiques lièvres rôtissaient à présent sur une broche de bois. Les quatre hommes passèrent sur l’île près d’une quinzaine de jours avant qu’un bateau ne vienne les secourir. Quinze jours durant lesquels l’Inutile dut enseigner à se compagnons, tout ce qu’il fallait savoir faire pour survivre lorsqu’on a rien.

     

                           


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  • LE CONTEUR PHILOSOPHE 

    DE MICHEL PIQUEMAL 

                             

    L'un des meilleurs élèves de Sophios partit un jour courir le monde. Sophios l’y avait engagé, conscient que sa science ne pourrait remplacer ce qui s'apprend le long des routes. 

     

    Le savoir des ignorants 

    Au bout de quelques années, l'étudiant revint voir Sophios, intarissable sur ce qu'il avait appris: 

    - J'ai rencontré les plus grands maîtres, les plus grands savants. J'ai parcouru la Grèce à la recherche de ses philosophes. Je suis allé jusqu'à Alexandrie écouter les leçons de ses vénérables. Je crois bien avoir entendu toutes les leçons des hommes les plus éminents de notre petit monde. Sophios le regarda avec un sourire. 

    -  Reprends la route. Il ne suffit pas d'apprendre auprès de ceux qui savent et enseignent. Si tu veux être un homme accompli, va apprendre auprès de ceux que tu crois ignorants. Ils ont tant à t'enseigner! 

     


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  • LE CONTEUR PHILOSOPHE 

    DE MICHEL PIQUEMAL 

     

    Plus les journées passaient, plus j'avais l'impression que les histoires de Sophios étaient comme autant de trésors, je regrettais celles que j'avais manquées et me mis à questionner mes camarades, afin de rattraper quelques leçons du temps passé. Chacun eut alors à cœur de me raconter une anecdote : 

    Le Molosse 

     

    Un molosse vivait dans un enclos au bout d'une lourde chaîne de fer. Son maître, le disant méchant et vicieux, déconseillait à quiconque de l'approcher. Il est vrai que ceux qui tendaient la pointe d'un bâton se le faisaient promptement déchiqueter. Ils partaient alors en se réjouissant de n'avoir pas approché leur propre main. 

    Le maître ne gardait donc ce chien que pour protéger sa maison et organiser de temps en temps des combats avec d'autres molosses, où la bête montrait toujours sa supériorité en haine et en méchanceté. Les enfants, pour leur part, ne passaient jamais à côté de l'enclos sans y jeter quelques pierres. Or un jour, Sophios vint à traverser le village. En voyant ce molosse qui ruait de rage au bout de sa chaîne, il en éprouva de la compassion. Et il passa la journée près de lui sans se soucier de ses aboiements furieux. Au crépuscule, le molosse finit par se calmer et il écouta la voix douce de Sophios. Celui-ci put l'approcher, plus près et plus près encore, jusqu'à finalement le caresser. Il termina sa nuit dans l'enclos, et au petit matin, les villageois eurent la surprise de trouver leur bête fauve en train de lécher le vieil homme. Tous mirent cela sur le compte d'un miracle, et le propriétaire n'hésita pas à offrir le chien à Sophios. Mais ce dernier refusa l'idée d'une guérison miraculeuse. Il savait simplement ce que tous auraient dû savoir: le regard que l'on porte sur son prochain suffit à le changer. 

    (Argentine)


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  • LE CONTEUR PHILOSOPHE

    DE MICHEL PIQUEMAL

     

    Un de mes camarades avait tout pour être heureux, pourtant il traînait toujours sur lui une indicible mélancolie. Parfois, il était même prêt à mettre fin à ses jours tant la vie lui semblait pesante. Désespéré, il alla voir Sophios, car il voulait au moins comprendre d'où lui venait cette terrible malédiction.

     

    Dis-moi ce que tu lis …

    Sophios questionna longuement le jeune homme qui se prétendait malheureux. Il voulut savoir quel était le dernier livre qu'il avait lu, les musiques qu'il écoutait, le dernier spectacle auquel il avait assisté... Ce n'étaient que des œuvres austères et pleines d'angoisse. Il voulut savoir quels amis il fréquentait. À l'évidence, des jeunes hommes aussi tristes et désemparés que lui. Il lui demanda encore depuis quand il n'avait pas fait quelque chose de ses mains, depuis quand il n'avait pas joué au ballon, depuis quand il ne s'était pas levé la nuit pour regarder les étoiles. Autant de questions que le jeune homme accueillit avec un sourire moqueur. Voyons ! il était trop intellectuel pour travailler de ses mains, trop âgé pour jouer au ballon, trop sérieux pour faire quelque chose d'aussi futile que regarder les étoiles... Sophios poussa un grand soupir et murmura : Pour celui qui désire aller vers le soleil mais lui tourne obstinément le dos, le chemin risque d'être bien long, vraiment très très long !

     


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  • Un élève vint un jour frapper à la porte de Sophios. Il trouvait que ses camarades le négligeaient

    -  Maître, demanda-t-il, comment fait-on pour avoir des amis?

     

    - Ce n'est pas difficile, répliqua Sophios. Efforce-toi seulement de ne pas faire comme le paon...

     

    Le paon qui n’avait pas d’ami

     

    Un matin, le paon se réveilla en se trouvant bien seul. Il se mit à se lamenter. Il n'avait pas d'amis. Personne ne venait jamais le trouver, ni parler, ni jouer avec lui. Bon nombre l'admirait pour son beau plumage, mais nul n'était son ami. Il alla se plaindre auprès de l'éléphant, qui était, en ce temps-là, le plus sage des animaux.

    - Regarde-moi, lui dit-il, je suis sans conteste le plus gracieux des oiseaux, pourtant on me fuit comme si j'avais la peste. Jamais une visite, jamais un signe d'amitié ! Dis-moi, toi que l'on prétend sage parmi les sages, pourquoi cette injustice et comment y remédier?

    - Il n'y a qu'une façon d'avoir des amis, lui répondit l'éléphant, c'est d'en être un soi-même. Au lieu de reprocher aux autres de ne pas venir vers toi, t'es-tu auparavant soucié d'aller vers eux.

     


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    LE CONTEUR PHILOSOPHE<

    DE MICHEL PIQUEMAL

     

    Notre maître portait à chacun une attention particulière. Nous sentions qu'il ne se contentait pas d'enseigner, mais qu'il nous écoutait, nous comprenait, nous respectait...

    Une partie de cartes

     

    Un de mes camarades boitait. Jamais il n'en avait parlé à Sophios, mais celui-ci sentait bien que ce handicap le rongeait. Le jeune homme le vivait comme une terrible calamité qui l'empêcherait à tout jamais d'être heureux. Aussi, un jour, Sophios l'invita à faire une partie de cartes. L'élève fut un peu surpris, mais fier que Sophios s'intéresse à lui. Tout l'après-midi, ils distribuèrent, jouèrent, abattirent leurs cartes et le jeune homme s'y révéla acharné.

    À la fin du jour, alors que le jeune homme venait de gagner une partie avec un jeu pourtant médiocre, Sophios lui parla ainsi

    - Vois-tu, le sort nous distribue à la naissance un certain nombre de cartes. Ensuite, c'est à nous de jouer. On peut réussir une belle partie avec des cartes pas fameuses, comme faire une partie médiocre avec tous les atouts dans son jeu. C'est pour cela que la vie vaut d'être vécue, peut-être même plus encore quand on a entre ses mains un jeu qu'il nous appartient de faire briller. On prétend que le jeune homme comprit le sens de cette allégorie !


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  • LE CONTEUR PHILOSOPHE

    DE MICHEL PIQUEMAL

     

     

     

    Un jour, un élève qui avait bu un verre de trop s'était montré bruyant et fantasque. Aussitôt, les autres élèves Pavaient banni, de crainte que son exemple ne fasse d'eux des débauchés. Lorsque Sophios l'apprit, il nous raconta la fable des deux amis

    Les deux amis

     

    II y eut, dans les temps anciens, un homme qui était un véritable ermite. Il ne buvait que de l'eau, ne se nourrissait que de pain agrémenté de quelques fruits, et fuyait la compagnie des femmes. Un jour, son meilleur ami lui dit:

    - Comment peux-tu rejeter ce que tu ne connais pas ? Pour ma part, si je ne vis pas dans la débauche, je ne refuse pas de temps en temps un bon repas ni un verre de vin.

    Cette réflexion plongea notre jeune ermite dans la perplexité. Il savait que cette remarque était fondée. Pour rejeter le mal, il fallait au moins le connaître, sinon le combat était trop facile. À compter de ce jour, il décida de goûter à tous les plaisirs de ce monde, participant aux banquets, finissant ivre et entouré de jolies femmes. Il connut les plus sombres vices, jusqu'au jour où il reçut la visite de son ami.<o:p></o:p>

    - Alors, lui demanda celui-ci, te plais-tu à cette nouvelle vie ? Le jeune noceur s'interrogea sincèrement et dut reconnaître que non, il n'avait pas trouvé le bonheur. Parfois même, au lendemain des pires excès, son apparence le dégoûtait! Il décida donc de revenir à une vie plus sobre et plus chaste. Tout joyeux, il retourna au bout de quelques mois auprès de son ami.

    - Regarde, lui dit-il, j'ai retrouvé le chemin de la sagesse

    - Tu ne bois donc plus, tu ne participes plus aux banquets, tu ne goûtes plus aux plaisirs de la chair...

    - Si, parfois...

    -  Eh bien, lui dit son ami, tu auras mis la moitié de ta vie pour trouver le chemin que la plupart des gens de ce monde empruntent naturellement...

     

     


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    LE CONTEUR PHILOSOPHE

    DE MICHEL PIQUEMAL

     

    - Maître, demanda un jour un de mes compagnons, vous ne nous racontez jamais les grandes histoires glorieuses du passé. N'est-il pas bon de se souvenir?

    - Se souvenir, oui ! répondit Sophios. Mais ne pas se laisser envahir ou ensevelir ! Écoutez l'histoire des Monates

     

    Lorsque les morts gouvernent les vivants

    II y eut autrefois un peuple appelé Monates, qui fut massacré par ses voisins, les Crébins. Ce fut une affreuse tuerie que rien ne pouvait justifier... et les survivants vécurent désormais avec cette blessure ouverte en eux. À force de courage, ils réussirent à refonder des familles et éduquèrent leurs enfants dans le souvenir de ces horribles souffrances. Les enfants firent de même, ainsi que les enfants de leurs enfants; et les Monates vécurent alors dans une véritable obsession de ce qu'on avait fait à leurs ancêtres. Les souvenirs prirent la dimension d'un mythe qui étouffait les enfants dès leur naissance. Par crainte de voir leur massacre recommencer un jour, les Monates s'armèrent, au point d'avoir bientôt l'armée la plus puissante de la région. Partout ils en vinrent à soupçonner des ennemis qui les menaçaient, des ennemis qu'il fallait contrôler, surveiller, voire anéantir avant qu'ils ne se montrent dangereux. Et bientôt, ce fut à leur tour de tuer et de retourner vers les autres cette violence qui les emprisonnait depuis des siècles. Car s'il est bon de se souvenir, il n'est pas bon de laisser les morts gouverner les vivants.

     


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  • Alors que nous nous promenions sur les hauteurs de l'île, nous aperçûmes dans le lointain un homme en armure. Inquiets, nous nous apprêtions à rebrousser prudemment chemin, mais Sophios nous contraignit à aller au devant de cet être effrayant... qui se révéla être un apiculteur, emmitouflé dans ses vêtements de protection. Alors Sophios composa à notre intention cette petite fable:

     

    Le lapin, la belette et l’aigle

     

    Un lapin, qui n'avait pas vu grand-chose dans son existence, rencontra un jour un troupeau de vaches. Lorsqu'il vit ces énormes bêtes pourvues de terribles cornes luisantes comme des poignards, il détala à toutes pattes. À n'en pas douter, c'étaient là des monstres dangereux dont il devait bien se garder. Plus loin, à bout de souffle, il rencontra une belette. Elle semblait sommeiller sur une pierre au soleil. Elle était si gracieuse avec son fin museau, et si attirante avec sa fourrure soyeuse, qu'il s'approcha en toute confiance pour jouer avec elle. La belette, elle, le guettait du coin de l'œil, prête à lui sauter à la gorge. Mais un aigle qui volait dans le ciel avait vu la belette. Cela faisait déjà quelques minutes qu'il décrivait autour d'elle de larges cercles. Et au moment même    la  belette tournait vers  le  lapin  ses  dents meurtrières, l'aigle lui fondit dessus et l'emporta. Puis il s'envola majestueusement vers le ciel dans le soleil couchant. Le jeune lapin admira le vol puissant, l'allure noble de celui qui lui avait sauvé la vie. «Je sais désormais qui sont mes amis, se dit-il. Ce sont ces grands oiseaux qui gouvernent le ciel.» Hélas, s'il avait su combien il ne faut pas juger les gens sur les apparences ! Cela lui aurait évité de servir plus tard de déjeuner à quelque jeune aiglon..

    Le lapin, la belette et l’aigle


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