Le halo de la lampe

Quelle est la couleur que tu aimes ?

Je n'en sais rien, lui-disait-elle,

J'aime tout : le blanc du troène,

Le rouge de la coccinelle,

Le vert acide de l'oseille,

Le bleu de l'hirondelle.

Pourtant, reprenait-elle,

Rien n'est plus beau

Que le halo de cette lampe

Où nos mains tremblent

Tels des agneaux mettant, dans l'aube,

Leurs têtes l'une contre l'autre.

Sur la pelouse du Parc

Avec des gaucheries d'oiseau

Qui aurait des ailes trop grandes

Et tomberait tantôt à gauche

Tantôt à droite en essayant

De quitter l'herbe où il balance,

Un petit enfant marche

Sur la pelouse du parc.

Un petit chien blanc tourne autour,

Agile comme un ange

Qui voudrait bien l'aider.

Mais il ne sait comment s'y prendre.

Tous les marronniers de l'allée

Avec leurs grands yeux de soleil

Regardent comme émerveillés

L'enfant qui voudrait s'envoler

Et dont, seule, la robe blanche

Gonflée par le grand vent

A l'air de monter vers les branches.

Bouzée dans la Meuze

Les roussettes

On dirait de tout petits chiens

A qui l’on a donné des ailes

Pour remplacer les hirondelles

Et  voler lorsque vient la nuit.

Que de merveilleux cerfs-volants,

Cela ferait aux doigts des anges !

Ils les lanceraient dans le vent

Quand ils s’ennuieraient le dimanche.

On verrait, le long des murs gris,

Défiler de curieux mélanges

D’ailes noires et d’ailes blanches,

Et même Dieu serait surpris,

En les voyant passer sous lui,

De n’avoir pas songé à prendre

Aux grottes bleues du paradis

Des grappes de chauves-souris.

(Maurice Carême)

Joie de vivre

Une étroite fenêtre ouverte

Sur un jardin aux lignes pures.

Sous l’arceau d’une plante verte,

Une fillette qui adjure

Sa poupée de rester couverte.

Le jour qui vient de s’éveiller

Ne cesse de s’émerveiller.

Et c’est toute la joie de vivre

Que le vent, de son crayon bleu,

Note sur le livre des cieux.

J’ai tant de choses à te dire

J’ai tant de choses à te dire

Que je n’aurai jamais fini

De te parler, de te sourire

Pour essayer d’être compris.

Mais elles s’embuent de mystère

Comme ta voix et ton sourire

Comme tes mains dans la lumière

Les choses que je veux te dire.

Hélas ! J’ai beau faire, beau dire,

Il ne me reste qu’à me taire

Et à laisser parler mon cœur

Avec cette voix familière

Qu’il a pour parler du bonheur

Dès que je cherche à te les dire.

Il chercha Dieu

Il chercha Dieu sur terre,

Le chercha dans la mer,

La lune, Vénus, Mars,

Le soleil, les étoiles,

Le chercha, étonné

De ne pas le trouver,

Sans jamais deviner

Que Dieu se confondait

Avec ce qu’il avait

De plus clair, de meilleur

En lui au fond du cœur

Devenir un ange

Cela doit être étrange

De devenir un ange

Et de voler sans bruit

Autour du paradis,

D'avoir un front, un nez,

Une bouche éternelle

Et avec ça des ailes

Vous tombant jusqu'aux pieds

Et de voir enfin Dieu

Assis au cœur des cieux

Avec sa barbe à fleurs,

Ses longs cheveux soyeux,

Son surplis de couleur

Et sa pipe en bois bleu.

Je ne suis qu’une pomme

Je ne suis qu'une pomme

Un peu rouge, un peu jaune

Parmi beaucoup de pommes.

Je ne sais ce que pensent

Les centaines de pommes

Que le grand vent balance

Au milieu de l'automne.

Je m'accroche comme elles

En suppliant le ciel

De ne pas me laisser

Choir trop tôt sur le pré.

Je ne suis qu'une pomme

Un peu rouge, un peu jaune

Parmi beaucoup de pommes

Qui ne savent pourquoi

II leur faut être pomme

Dans un pommier d'automne

Et tomber comme moi.

Tombée du soir

Lentement, autour des maisons

Les jardins frileux se défont.

Pressé, le ciel met une couche

De rouge ardent sur les carreaux.

Le val verse une pleine louche

De brouillard gris sur le hameau.

Les corneilles rentrent ensemble.

Un cheval lassé passe à l'amble.

Les vaches fondent dans les prés.

Comme une lettre mal fermée

Portée par la chauve-souris,

Une blanche petite fumée

Monte vers Dieu... et c'est la nuit

Ma gomme

Avec ma gomme, dit l'enfant

— La gomme que j'ai dans le cœur

Je puis rayer tous les malheurs.

Avec ma gomme, dit l'enfant,

Je pourrais faire disparaître

L'univers et tous ses vivants.

Mais qui jamais, sur cette terre

— Fût-il le dieu le plus futé —

Serait capable d'effacer

Avec sa gomme de lumière

Le beau visage de ma mère

Du livre de l'éternité !

Invitation

J’ai invité le soleil à diner

Avec tous ses petits enfants.

Ils se sont installés

Devant les couverts en argent.

Ils n’ont mangé que la lumière

Glissant sur le dos des cuillères,

N’ont suçoté que les reflets

Tremblant sur les sorbets.

N’ont bu que les éclats taillés

Par le cristal des verres.

Il faisait chaud, il faisait gai

Dans la maison émerveillée.

Des grives descendaient du ciel

Pour regarder à la croisée.

Des blés brûlaient au cœur des champs.

Des hirondelles

Fendaient l’air bleu en longs rubans

Qu’elles recousaient derrière elles.

IL A NEIGE

Il a neigé dans l'aube rose,
Si doucement neigé
Que le chaton noir croit rêver
C'est à peine s'il ose
Marcher.

Il a neigé dans l'aube rose,
Si doucement neigé
Que les choses
Semblent avoir changé.

Et le chaton noir n'ose
S'aventurer dans le verger,
Se sentant soudain étranger
A cette blancheur ou se posent,
Comme pour le narguer,
Des moineaux effrontés.

Maurice Carême

Étranges  fleurs

L'automne met dans les lilas
D'étranges fleurs que nul ne voit,

Des fleurs aux tons si transparents
Qu'il faut avoir gardé longtemps

Son âme de petit enfant
Pour les voir le long des sentiers

Et pour pouvoir les assembler
En un seul bouquet de clarté

Comme font, à l'aube, les anges
Les mains pleines d'étoiles blanches...

Maurice Carême