• Les Philo-fables de Michel Piquemal

    Les trois tamis 

    Un jour, un homme vint trouver le philosophe Socrate et lui dit : 

    -  Écoute, Socrate, il faut que je te raconte comment ton ami s'est conduit. 

    -  Je t'arrête tout de suite, répondit Socrate As-tu songé à passer ce que tu as à me dire au travers des trois tamis ? 

    Et comme l'homme le regardait d'un air perplexe, il ajouta : 

    -  Oui, avant de parler, il faut toujours passer ce qu'on a à dire au travers des trois tamis. Voyons un peu ! Le premier tamis est celui de la vérité. As-tu vérifié que ce que tu as à me dire est parfaitement exact ? 

    -  Non, je l'ai entendu raconter et...-  Bien ! Mais je suppose que tu l'as au moins fait passer au travers du second tamis, qui est celui de la bonté. Ce que tu désires me raconter, est-ce au moins quelque chose de bon ? 

    L'homme hésita, puis répondit : 

    -  Non, ce n'est malheureusement pas quelque chose de bon, au contraire... 

    -  Hum !   dit le philosophe. Voyons tout de même le troisième tamis. Est-il utile de me raconter ce que tu as envie de me dire ? 

    -  Utile ? Pas exactement... 

    -  Alors, n'en parlons plus ! dit Socrate. Si ce que tu as à me dire n'est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère l'ignorer. Et je te conseille même de l'oublier... 

    (Apologue attribué au philosophe grec Socrate (V-IVe siècle avant notre ère)

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    « Convenons-en ! Raconter ce qu'on a entendu dire nous brûle souvent la langue. C'est le plaisir de la conversation et des petits ragots. Une manière parfois même de se rendre intéressant aux yeux des autres, mais qui oublie que cela peut porter gravement préjudice au « sujet » de la conversation. N'oublions donc pas les trois tamis ! Il y aura alors beaucoup plus de silence autour de la machine à café ! » (Michel Piquemal) 

    Les trois tamis


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  • Les Philo-fables de Michel Piquemal 

    Le Mille-pattes 

    Un mille-pattes vivait tranquille, insouciant et heureux, lorsqu'un jour, un crapaud, qui habitait dans les parages, lui posa une question bien embarrassante  

    - Lorsque tu marches, lui demanda-t-il, dans quel ordre bouges-tu tes pattes ? 

    Le mille-pattes fut si troublé par la question du crapaud qu'il rentra aussitôt dans son trou pour y réfléchir. Mais il avait beau se creuser la cervelle, il ne parvenait pas à trouver de réponse. À force de questionnements, il finit par ne plus être capable de mettre ses pattes en mouvement. Il resta bloqué dans son trou, où il mourut de faim.

    (Histoire de la Chine ancienne) 

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    « Dans certaines situations, il est nécessaire de s'interroger, mais dans d'autres, il est bon d'agir de manière naturelle, instinctive. Ce que nous enseigne ce conte, c'est que trop s'interroger sur nous-mêmes risque de nous étouffer et de nous empêcher définitivement d'agir. Mais n'avons-nous pas tous cette tendance à nous regarder de l'intérieur qu'on appelle l'introspection ? »

    » (Michel Piquemal) 



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    Les Philo-fables de Michel Piquemal 

    Résumé : 

    La philo, une discipline trop complexe, trop abstraite, trop ardue ? Montaigne disait au contraire qu' « il n'est rien de plus gai, de plus gaillard, de plus enjoué... ». Afin de le prouver, Michel Piquemal a réuni plus de 60 fables philosophiques, contes, mythes et paraboles du monde entier, qui ouvrent les portes d'une réflexion philosophique tonique et joyeuse. Chacune de ces philo-fables se révèle un vrai trésor de sagesse, d'humour ou d'émotion. Un petit atelier du philosophe vient prolonger 

    la réflexion à partir de commentaires et de questions parfois malicieuses. 

    Un ouvrage ludique, destiné à tous les âges de la vie, pour le plaisir de penser plus grand et plus loin ! (Michel Piquemal) 

     

    Les porcs-épics 

    Par une froide journée d'hiver, des porcs-épics se serraient les uns contre les autres afin de se tenir chaud. Mais très vite, à force de se serrer, ils ressentirent la brûlure de leurs piquants et durent s'écarter. Quand ils eurent trop froid, leur instinct les poussa à se rapprocher encore... Mais de nouveau, ils ressentirent la brûlure de leurs piquants. Ils renouvelèrent ce manège plusieurs fois jusqu'à ce qu'ils trouvent enfin leur juste distance. 

    (Fable racontée par le philosophe allemand Schopenhauer (1788-1860) 

    « L’homme est un animal social. Il a besoin des autres. Mais cette nécessaire proximité a son revers. Elle peut devenir pesante. Même en famille, même dans un couple … A nous de trouver la juste distance. A nous d’accepter que l’autre ait aussi ses propres amis et ses jardins secrets. » (Michel Piquemal)  

     

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  • Papa, raconte-moi le monde 

     

    Dis papa c’est quoi le monde ? 

    Le monde est une ronde de peaux et de parfums,

    D’écorce et de sourires,

    De jours et de sommeil.

     

    Dis papa c’est quoi le mal ? 

    C’est la bêtise des hommes qui parfois vont se perdre dans les sentiers de pierre.

    Et prennent des cailloux pour les lancer en l’air.

     

    Dis papa c’est quoi le ciel ? 

    Un espace sans ligne ni partage,

    Une grande rêverie une nuit pleine de jours

    Qui n’a ni fin ni soif.

     

    Dis papa c’est quoi la vie ? 

    Une belle aventure, un jeu de mains sans les vilains,

    Une chimère qui pousse et resplendit,

    Un oranger aux racines profondes,

    Un voyage immobile qui nous charme et nous change.

     

    Dis papa c’est quoi les fleurs ? 

    De jeunes fées qui ne peuvent marcher

    Des pensées bien trop douces sorties des beaux esprits,

    Des sourires colorés de tous ceux que l’on aime.

     

    Dis papa c’est quoi la mort ? 

    Une erreur, une maison dans laquelle on s’endort

    Un songe, un grand oubli

    Un vieux malentendu,

    Un chien très fatigué qui oublie sa douleur en se couchant heureux

    Près d’un feu un beau soir.

     

    Dis papa c’est quoi les hommes ? 

    Ce sont des princes, des mendiants et des fous,

    Des artistes et des gueux,

    Des loups et des agneaux,

    De très petites choses fragiles et admirables qu’un rien

    Suffit à vaincre.

    Des montagnes éternelles où naissent les ruisseaux.

     

    (Philippe Claudel, extrait de « Le monde sans les enfants ;) 

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  • Le petit voisin 

     

    Bonjour ! 

    Mon nom c'est Wahid, et j'ai ton âge. 

    J'habite pas très loin de chez toi, dans une grande ville qui s'appelle Bagdad. Tu penses peut-être que je me moque de toi quand je te dis que ce n'est pas trop loin de chez toi? Eh bien, prends une carte du monde, regarde où se trouve Bagdad, tu verras que ce n'est pas très loin. En plus, tu sais bien qu'aujourd'hui, grâce aux avions qui vont très vite, rien n'est vraiment loin de rien. On pourrait presque dire que je suis ton petit voisin. 

    Bagdad, c'est une très ancienne ville, qui existe depuis des milliers d'années. Son nom signifie «Celle qui fut donnée par Dieu». Je ne sais pas si tu crois en Dieu, mais moi, je n'y crois plus beaucoup parce que, lorsque je regarde ma vie et ma ville, je me dis que Dieu, soit il doit être endormi pour toujours, soit il doit être tellement vieux, tellement sourd et tellement aveugle qu'il ne se rend même plus compte de ce qui se passe chez les hommes qu'il a créés. 

    Parce que tu sais, chez moi, c'est-à-dire juste à côté de chez toi, oui, là, sur l'autre palier, eh bien c'est la guerre. Oui, oui, la guerre. La guerre comme dans les films, comme à la télévision, sauf que chez moi, à Bagdad, c'est en vrai, ce n'est pas un film. Il y a du bruit, de la fumée et des morts, et pas des morts qui se relèvent après avoir joué aux morts. Non, des vrais morts qui restent morts tout le temps et pour toujours. 

    Chaque matin, lorsque je vais à l'école, enfin dans ce qui reste de mon école car les murs et le toit sont percés comme une passoire, je dois faire très attention, c'est ce que me dit ma mère. Je pense que la tienne te dit la même chose, c'est normal, les mères, elles sont toujours inquiètes pour leurs enfants. 

    Je suppose que, quand tu traverses la route, tu dois faire attention aux voitures qui passent. Moi, c'est comme toi, mais je dois aussi faire attention aux voitures qui ne roulent pas. Celles qui sont arrêtées, immobiles, avec personne dedans, parce que de celles-là, il y en a tous les jours qui explosent, sans prévenir. Le problème, c'est qu'on ne sait pas distinguer celles qui vont exploser de celles qui sont inoffensives, qui sont de vraies voitures quoi ! 

    Quand une voiture explose, c'est que des gens ont mis des bombes dedans, exprès pour tuer d'autres gens, et ça marche parce qu'à chaque explosion, il y a au moins vingt ou trente morts et du sang partout, et des hommes, des femmes et des enfants, blessés, qui hurlent et qui pleurent. Chaque jour, dans ma ville, deux ou trois voitures explosent. Si tu sais déjà faire les multiplications comme moi, tu feras le compte, ça fait beaucoup de morts en un mois. 

    Sur le chemin de l'école, il faut faire attention aux gens qui ont des fusils, car ils peuvent tirer avec, te tirer dessus, et puis là aussi tu es mort. Le problème, c’est qu'il y en a plein des gens avec des fusils : il y les militaires de mon pays, et puis des militaires d'autres pays qui sont venus dans mon pays pour faire la paix en faisant la guerre. Oui, je sais, ça parait bizarre expliqué comme ça, mais moi je te répète ce qu'ils nous disent. Je n'ai pas compris plus que toi. Et puis il y a des gens qui ne sont pas militaires mais qui ont des fusils quand même, pour se défendre, mais ne sais pas contre qui. 

    Quand tu vois les militaires ou les autres, il faut faire attention à ne pas courir, car si tu cours, ils croient parfois que tu es un ennemi et ils te tirent dessus. C'est comme ça que mon copain Kamel, il a perdu sa jambe : il était en retard à l'école, il a couru, couru pour que le maître ne le gronde pas trop, des soldats l'ont vu courir et ont cru qu'il s'enfuyait après avoir fait quelque chose de mal, alors ils ont tiré. Kamel a été blessé à la jambe. La gauche. Il a fallu la lui couper 

    Moi je l'aime bien Kamel, on rigole bien, on est amis pour la vie. C'est embêtant sa jambe, parce qu'on ne peut plus jouer au foot et on  ne  pourra  plus   être champions  du  monde comme on se  l'était promis. Mais bon, c'est pas si grave que ça, maintenant, Kamel et moi, on joue aux cartes. Plus tard, on sera champions du monde de cartes, personne ne pourra nous en empêcher, aucun soldat, aucune voiture ! Même si on perd toutes nos jambes ! 

    Tu sais, malgré tout ce qui s'y passe, je l'aime ma ville. J'y suis né, et puis j'y ai plein de souvenirs. Avant tout ça, quand j'étais très petit, ma mère m'emmenait le soir promener le long de la grande rivière. Plein de gens se retrouvaient là : on pouvait manger des gâteaux, écouter les histoires racontées par les vieillards, entendre des chansons, voir des acrobates et des serpents qui dansaient au son des flûtes. La rivière s'appelle le Tigre. Oui, oui, je ne te mens pas, le Tigre. Tu connais un plus joli nom de rivière, toi? Moi pas. Le Tigre, il ne feule pas mais il peut être féroce, plein d'eaux violentes, et très petit aussi, plaintif comme un enfant, ça dépend des saisons. En ce moment, il est toujours très gros. Ma mère elle dit que c'est les larmes de tout mon peuple qui le remplissent et qui le font déborder. Je vais te laisser parce que mes sœurs dans la chambre n'arrêtent pas de se chamailler. Elles font beaucoup de bruit. Je les aime bien, mais c'est fatigant d'habiter à six dans la même pièce : il y a ma mère, mes sœurs et grand-mère Rhadija, qui n'a plus toute sa tête et qui sourit tout le temps. Et puis moi bien sûr. La nuit, on se serre tous les uns contre les autres. C'est agréable. On a chaud, et on a moins peur comme ça. 

    Quand le sommeil me prend, je pense à mon père. J'essaie de retrouver son visage. Je ne m'en souviens plus très bien car il est parti quand j'étais tout petit, au début d'une autre guerre. Ma mère me dit qu'il reviendra un jour, mais qu'il dort au loin, dans le sable du désert, très loin, et qu'il attend qu'on pense tous très fort à lui pour se réveiller et pour revenir vers nous. 

    C'est peut-être un conte que me dit ma mère, mais tu sais, ma ville, c'est la ville des contes, la ville des Mille et Une Nuits, la ville de Shéhérazade et du calife Haroun al-Rachid ! Oui, oui, celle-là, celle-là même et pas une autre. Jadis, lorsqu'on l'a bâtie il y a des milliers d'années, on lui a donné le plus beau surnom qui soit : Madinat  

    al-Salam, ce qui veut dire La cité de la paix. C'est dommage que personne ne s'en souvienne plus aujourd'hui, tu ne crois pas ? Mais tu pourras peut-être le dire toi, à tout le monde autour de toi, aux petits comme nous et surtout aux grands, hein, tu le leur diras toi mon petit voisin ? 

    S'il te plaît, s'il te plaît... 

    Je t'embrasse bien fort. 

    Pense à moi comme je pense à toi, car c'est en pensant aux autres qu'on les fait exister, et ça, les guerres n'y peuvent rien changer. 

    Wahid 

    (Philippe Claudel extrait de son livre «  Le monde sans les enfants.) 

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