• L’étranger

    « Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ?

    Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?

    -        Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

    -        Tes amis ?

    -        Vous  vous servez là d’une parole dont le sens

    M’est resté jusqu’à ce jour inconnu.

    -        Ta patrie ?

    -        J’ignore sous quelle latitude elle est située.

    -        La beauté ?

    -        Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.

    -        L’or ?

    -        Je le hais comme vous haïssez Dieu.

    -        Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

    -        J’aime les nuages … les nuages qui passent…

    Là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! »

    Charles Baudelaire


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  • Outils posés sur une table

     

    Mes outils d’artisan

    Sont vieux comme le monde

    Vous les connaissez,

    Je les prends devant vous :

    Verbes, adverbes, participes

    Pronoms substantifs, adjectifs.

     

    Ils ont su, ils savent toujours

    Peser les choses

    Sur les volontés,

    Eloigner ou rapprocher,

    Réunir, séparer

    Fondre ce qui est pour qu’en transparence

    Dans cette épaisseur

    Soient espérés ou redoutés

    Ce qui n’est pas, ce qui n’est pas encore,

    Ce qui est tout, ce qui n’est rien,

    Ce qui n’est plus.

     

    Je les pose sur la table

    Ils parlent tout seuls je m’en vais

     

    Jean Tardieu.


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  • Viens réchauffer

     

    Viens réchauffer tes mains mon frère

    On dit que nous avons un dieu

    Que ce n'est pas un militaire...

    Ni l'empereur, ni son neveu

    Que ce n'est pas de ces notables

    Ni de ces bourgeois triomphants

    On dit qu'il est né à l'étable

    On dit que Dieu n'est qu'un enfant.

     

    Viens réchauffer tes mains trop maigres

    On dit que tu as la peau noire

    On dit que tu es un sale nègre

    Qu'il vaut mieux changer de trottoir

    On dit que ma petite "caille"

    L'enfant est né à minuit

    Qu'il faisait si noir sur la paille

    Sa peau était couleur de nuit.

     

    Viens réchauffer tes deux mains jaunes

    Tes poissons maigres de coolies

    On dit que tu mendies l'aumône

    Le sang d'une poignée de riz

    Qu'on a bombardé vos paroles

    Brûlé la fleur, brûlé le champ

    On a dit aussi qu'un roi Hérode

    A voulu supprimer l'Enfant.

     

    Viens réchauffer tes mains, mon frère

    On dit qu'il nous est né un Dieu

    Qu'il est né en terre étrangère

    Et moi... j'ai oublié le lieu

    Toi qui habites le silence

    Tes poings serrant un bout de pain

    Je voudrais voir si sa naissance

    Tu ne la tiens pas dans tes mains.

     

    Jean Debruynne

    http://www.granby.net/~santschi/noel/noelhistoires.htm


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  • J’ai vu le menuisier

     

    J’ai vu le menuisier

    Tirer parti du bois.

     

    J’ai vu le menuisier

    Comparer plusieurs planches.

     

    J’ai vu le menuisier

    Caresser la plus belle.

     

    J’ai vu le menuisier

    Approcher le rabot.

     

    J’ai vu le menuisier

    Donner la juste forme.

     

    Tu chantais, menuisier,

    En assemblant l’armoire.

     

    Je garde ton image

    Avec l’odeur du bois.

    Moi j’assemble des mots

    Et c’est un peu pareil.

     

    Eugène Guillevic.

     


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  • La vie

    Elle prend bien sa source quelque part, la vie. Mais où ? D'où vient cette force qui donne au feu son impertinence, à la terre son appétit d'ogresse, à tout être vivant son désir de jouir du monde ? Demandez à la tempête ce qu'elle pense des convenances, demandez-lui ce qu'elle pense de la mort, demandez au feu, à l'air, à la terre. Ils n'ont aucune mémoire de ce qu'est la mort, ce mot n'existe pas dans la nature. Un caillou peut vous parler de l'innocence, mais il ne peut pas vous parler de la mort, pas plus que du bien, du mal, de l'utile, de l'inutile. Il ne sait rien de tout cela. Demandez à la vie à quoi elle sert. Elle ne vous répondra pas. Elle ignore tout de nos philosophies, elle ne sait pas ce que signifie le mot " néant ", voilà tout. Ce mot pour elle n'est qu'un bruit. Comment pourrait-elle comprendre ? La vie vit pour vivre. Elle n'est qu'une force qui va, gratuite, sans questions et sans cesse donnée. Libre à vous de l'épouser, de la voir comme elle est, de l'aimer simplement pour le bonheur d'aimer. Et si vous ne voulez pas d'elle, que lui importe, elle passera sans vous.

    (Henri Gougaud)

     

    douceur9090

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