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    Saison des semailles le soir

     

    C'est le moment crépusculaire.

    J'admire, assis sous un portail,

    Ce reste de jour dont s'éclaire

    La dernière heure du travail.

     

    Dans les terres, de nuit baignées,

    Je contemple, ému, les haillons

    D'un vieillard qui jette à poignées

    La moisson future aux sillons.

     

    Sa haute silhouette noire

    Domine les profonds labours.

    On sent à quel point il doit croire

    À la fuite utile des jours.

     

    Il marche dans la plaine immense,

    Va, vient, lance la graine au loin,

    Rouvre sa main, et recommence,

    Et je médite, obscur témoin,

     

    Pendant que, déployant ses voiles,

    L'ombre, où se mêle une rumeur,

    Semble élargir jusqu'aux étoiles

    Le geste auguste du semeur.

     

    Victor HUGO


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  • Quand deux  cœurs en s'aimant ont doucement vieilli

     

    Quand deux cœurs en s'aimant ont doucement vieilli

    Oh ! Quel bonheur profond, intime, recueilli !

    Amour ! Hymen d'en haut ! Ô pur lien des âmes !

    Il garde ses rayons même en perdant ses flammes.

    Ces deux cœurs qu'il a pris jadis n'en font plus qu'un.

    Il fait, des souvenirs de leur passé commun,

    L'impossibilité de vivre l'un sans l'autre.

    - Chérie, n'est-ce pas ? Cette vie est la nôtre !

    Il a la paix du soir avec l'éclat du jour,

    Et devient l'amitié tout en restant l'amour !

     

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  • N'est-ce pas, mon amour, que la nuit est bien lente

    N'est-ce pas, mon amour, que la nuit est bien lente
    Quand on est au lit seule et qu'on ne peut dormir ?
    On entend palpiter la pendule tremblante,
    Et dehors les clochers d'heure en heure gémir.
    L'esprit flotte éveillé dans les rêves sans nombre.
    On n'a pas, dans cette ombre où manque tout soleil,
    Le sommeil pour vous faire oublier la nuit sombre,
    Ni l'amour pour vous faire oublier le sommeil.

     

    Victor Hugo

    Balade sur le Blavet (36)

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  • Lorsque l'enfant paraît

    Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
    Applaudit à grands cris.
    Son doux regard qui brille
    Fait briller tous les yeux,
    Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
    Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,
    Innocent et joyeux.

    Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
    Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre
    Les chaises se toucher,
    Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
    On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère
    Tremble à le voir marcher.

    Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
    De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme
    Qui s'élève en priant ;
    L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
    Et les poètes saints ! la grave causerie
    S'arrête en souriant.

    La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure
    Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,
    L'onde entre les roseaux,
    Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
    Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
    De cloches et d'oiseaux.

    Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine
    Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
    Quand vous la respirez ;
    Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
    S'emplissent pour vous seul de suaves murmures
    Et de rayons dorés !

    Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
    Car vos petites mains, joyeuses et bénies,
    N'ont point mal fait encor ;
    Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange,
    Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
    À l'auréole d'or !

    Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche.
    Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche.
    Vos ailes sont d'azur.
    Sans le comprendre encor vous regardez le monde.
    Double virginité ! corps où rien n'est immonde,
    Âme où rien n'est impur !

    Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
    Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
    Ses pleurs vite apaisés,
    Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
    Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
    Et sa bouche aux baisers !

    Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
    Frères, parents, amis, et mes ennemis même
    Dans le mal triomphants,
    De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles,
    La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
    La maison sans enfants !

     

     

     

    bleuet-ou-bluet

     


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  • Le mendiant

    Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
    Je cognai sur ma vitre ; il s'arrêta devant
    Ma porte, que j'ouvris d'une façon civile.
    Les ânes revenaient du marché de la ville,
    Portant les paysans accroupis sur leurs bâts.
    C'était le vieux qui vit dans une niche au bas
    De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
    Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
    Tendant les mains pour l'homme et les joignant pour Dieu.
    je lui criai : « Venez vous réchauffer un peu.
    Comment vous nommez-vous ? » Il me dit : « Je me nomme
    Le pauvre. » Je lui pris la main : « Entrez, brave homme. »
    Et je lui fis donner une jatte de lait.
    Le vieillard grelottait de froid ; il me parlait,
    Et je lui répondais, pensif et sans l'entendre.
    « Vos habits sont mouillés », dis-je, « il faut les étendre ,
    Devant la cheminée. » Il s'approcha du feu.
    Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
    Étalé largement sur la chaude fournaise,
    Piqué de mille trous par la lueur de braise,
    Couvrait l'âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
    Et, pendant qu'il séchait ce haillon désolé
    D'où ruisselait la pluie et l'eau des fondrières,
    Je songeais que cet homme était plein de prières,
    Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
    Sa bure où je voyais des constellations.

    douceur7087

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  • Quand l'enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder ;
    Quand il pleure, j'entends le tonnerre gronder,
    Car penser c'est entendre, et le visionnaire
    Est souvent averti par un vague tonnerre.
    Quand ce petit être, humble et pliant les genoux,
    Attache doucement sa prunelle sur nous,
    Je ne sais pas pourquoi je tremble ; quand cette âme,
    Qui n'est pas homme encore et n'est pas encore femme,
    En qui rien ne s'admire et rien ne se repent,
    Sans sexe, sans passé derrière elle rampant,
    Verse, à travers les cils de sa rose paupière,
    Sa clarté, dans laquelle on sent de la prière,
    Sur nous les combattants, les vaincus, les vainqueurs ;
    Quand cet arrivant semble interroger nos c
    œurs,
    Quand cet ignorant, plein d'un jour que rien n'efface,
    A l'air de regarder notre science en face,
    Et jette, dans cette ombre où passe Adam banni,
    On ne sait quel rayon de rêve et d'infini,
    Ses blonds cheveux lui font au front une auréole.
    Comme on sent qu'il était hier l'esprit qui vole !
    Comme on sent manquer l'aile à ce petit pied blanc !
    Oh ! comme c'est débile et frêle et chancelant
    Comme on devine, aux cris de cette bouche, un songe
    De paradis qui jusqu'en enfer se prolonge
    Et que le doux enfant ne veut pas voir finir !
    L'homme, ayant un passé, craint pour cet avenir.
    Que la vie apparaît fatale ! Comme on pense
    A tant de peine avec si peu de récompense !
    Oh ! comme on s'attendrit sur ce nouveau venu !
    Lui cependant, qu'est-il, ô vivants ? l'inconnu.
    Qu'a-t-il en lui ? l'énigme. Et que porte-t-il ? l'âme.
    Il vit à peine ; il est si chétif qu'il réclame
    Du brin d'herbe ondoyant aux vents un point d'appui.
    Parfois, lorsqu'il se tait, on le croit presque enfui,
    Car on a peur que tout ici-bas ne le blesse.
    Lui, que fait-il ? Il rit. Fait d'ombre et de faiblesse
    Et de tout ce qui tremble, il ne craint rien. Il est
    Parmi nous le seul être encor vierge et complet ;
    L'ange devient enfant lorsqu'il se rapetisse.
    Si toute pureté contient toute justice,
    On ne rencontre plus l'enfant sans quelque effroi ;
    On sent qu'on est devant un plus juste que soi ;
    C'est l'atome, le nain souriant, le pygmée ;
    Et, quand il passe, honneur, gloire, éclat, renommée,
    Méditent ; on se dit tout bas : Si je priais ?
    On rêve ; et les plus grands sont les plus inquiets ;
    Sa haute exception dans notre obscure sphère,
    C'est que, n'ayant rien fait, lui seul n'a pu mal faire ;
    Le monde est un mystère inondé de clarté,
    L'enfant est sous l'énigme adorable abrité ;
    Toutes les vérités couronnent condensées
    Ce doux front qui n'a pas encore de pensées ;
    On comprend que l'enfant, ange de nos douleurs,
    Si petit ici-bas, doit être grand ailleurs.
    Il se traîne, il trébuche ; il n'a dans l'attitude,
    Dans la voix, dans le geste aucune certitude ;
    Un souffle à qui la fleur résiste fait ployer
    Cet être à qui fait peur le grillon du foyer ;
    Il
    site pendant que la lèvre bégaie ;
    Dans ce naïf regard que l'ignorance égaie,
    L'étonnement avec la grâce se confond,
    Et l'immense lueur étoilée est au fond.
    On dirait, tant l'enfance a le reflet du temple
    Que la lumière, chose étrange, nous contemple ;
    Toute la profondeur du ciel est dans cet
    œil.
    Dans cette pureté sans trouble et sans orgueil
    Se révèle on ne sait quelle auguste présence ;
    Et la vertu ne craint qu'un juge : l'innocence.

    Juin 1874

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  • Je pressais ton bras qui tremble

    Je pressais ton bras qui tremble ;
    Nous marchions tous deux ensemble,
    Tous deux heureux et vainqueurs.
    La nuit était calme et pure ;
    Dieu remplissait la nature
    L'amour emplissait nos cœurs

    Tendre extase ! Saint mystère !
    Entre le ciel et la terre
    Nos deux esprits se parlaient.
    A travers l'ombre et ses voiles,
    Tu regardais les étoiles,
    Les astres te contemplaient.

    Et sentant jusqu'à ton âme
    Pénétrer la douce flamme
    De tous ces mondes vermeils,
    Tu disais : Dieu de l'abîme,
    Seigneur, vous êtes sublime ;
    Vous avez fait les soleils !

    Et les astres à voix basse
    Disaient au Dieu de l'espace,
    Au Dieu de l'éternité :
    Seigneur, C'est par vous qu'on aime ;
    Vous êtes grand, Dieu suprême,
    Vous avez fait la beauté !

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  • J'aime un petit enfant, et je suis un vieux fou.

    - Grand-père ? - Quoi ? - Je veux m'en aller. - Aller où ?
    - Où je voudrai. - Partons. - Je veux rester, grand-père.
    - Restons. - Grand-père ? - Quoi ? - Pleuvra-t-il ? - Non, j'espère.
    - Je veux qu'il pleuve, moi. - Pourquoi ? - Pour faire un peu
    Pousser mon haricot dans mon jardin. - C'est Dieu
    Qui fait la pluie. - Eh bien, je veux que Dieu la fasse.
    - Mais s'il ne voulait pas ? - Moi, je veux. Si je casse
    Mon joujou, le bon Dieu ne peut pas m'empêcher.
    Ainsi... - C'est juste. Il va peut-être se fâcher,
    Mais passons-nous de lui. - Pour qu'il pleuve ? - Sans doute.
    Viens, prenons l'arrosoir du jardinier Jacquot,
    Et nous ferons pleuvoir. - Où ? - Sur ton haricot

     

    neige réduite

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  • Hier au soir

    Hier, le vent du soir, dont le souffle caresse,
    Nous apportait l'odeur des fleurs qui s'ouvrent tard ;
    La nuit tombait ; l'oiseau dormait dans l'ombre épaisse.
    Le printemps embaumait, moins que votre jeunesse ;
    Les astres rayonnaient, moins que votre regard.

    Moi, je parlais tout bas. C'est l'heure solennelle
    Où l'âme aime à chanter son hymne le plus doux.
    Voyant la nuit si pure et vous voyant si belle,
    J'ai dit aux astres d'or : Versez le ciel sur elle !
    Et j'ai dit à vos yeux : Versez l'amour sur nous

     


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  • Heureux l'homme occupé ...

    Heureux l'homme, occupé de l'éternel destin,
    Qui, tel qu'un voyageur qui part de grand matin,
    Se réveille, l'esprit rempli de rêverie,
    Et, dès l'aube du jour, se met à lire et prie !
    A mesure qu'il lit, le jour vient lentement
    Et se fait dans son âme ainsi qu'au firmament.
    Il voit distinctement, à cette clarté blême,
    Des choses dans sa chambre et d'autres en lui-même ;
    Tout dort dans la maison; il est seul, il le croit ;
    Et, cependant, fermant leur bouche de leur doigt,
    Derrière lui, tandis que l'extase l'enivre,
    Les anges souriants se penchent sur son livre.


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