• CONFESSION D'UNE RELIGIEUSE DE SOEUR EMMANUELLE

     

    CONFESSION D’UNE RELIGIEUSE DE SŒUR EMMANUELLE

     

    J’ai d’abord approfondi la vérité de cette parole : « Dieu a besoin des hommes » pour réparer ce que font d’autres hommes. Sur cette terre où nous avons été créés libres, les uns détruisent, artisans de mort, les autres rebâtissent, artisans de vie. Fort est qui abat, plus fort est qui relève. J’ai rencontré des êtres, qui rendent vigueur corps et esprit à des milliers d’enfants, font repousser la chair des squelettes, offrent a sérénité à ceux qui marchaient vers la mort, extraient de l’abîme des adolescents en voie de débauche. 

     

    Voici le témoignage de Moustapha assis dans sa chaise roulante.

     

    « L'an dernier, le Liban était particulièrement à feu sang, le parcourir était aller vers une mort quasi certaine. Il fallait faire quelque chose. J'ai décidé d'organiser une  marche de la paix avec des amis, infirmes de guerre comme moi : "Traversons le pays, sans armes, musulmans et chrétiens  confondus ; si nous sommes tous handicapés, qui aura le cœur de nous tuer ?" Nous sommes partis, unelongue colonne d'une cinquantaine de sourds, muets, aveugles, paralytiques, les uns poussant les autres. Nous portions des banderoles : Salam ! Shalom ! Peace ! Paix ! A travers les villes et les villages, nous scandions : "chrétiens et musulmans, tous frères !" Contrairement à ce qu'on m'avait dit, personne ne nous a attaqués, les miliciens de tous bords abaissaient leurs mitraillettes, les gens criaient dans un délire de joie : Salam ! Shalom ! On nous jetait du riz, comme à des noces. Nous avons senti battre le vrai cœur du Liban ! » Mgr Haddad approuve de toutes ses forces : « Ah ! Si on pouvait comprendre l'âme libanaise, non pas fanatique mais fraternelle ! » 

     Le drame libanais est un de ceux qui m'a le plus forcé à réfléchir sur la destinée humaine. Quel mystère que l’agonie d'un peuple, quel mystère que la résurrection d'un peuple ! Je l'affirme pour l'avoir vu : le Liban ne peut pas mourir. Cette nation possède des hommes et des femmes d'une force indomptable. Jetés à terre, ils sont prêts à rebondir. Avoir senti vibrer leur âme, au cœur même de leur tragédie, fait comprendre que « l'homme passe l'homme »  Il est des heures où la bestialité paraît l'emporter, lorsque « la sale politique » transforme des humains en fauves hurlant la mort.

     

    C’est par la rencontre de l’autre que l’on s’enrichit. C’est ainsi qu’en profondeur on peut voir se transformer son cœur, se convertir son jugement et créer un nouvel art de vivre et de penser.

     

    Le vrai, le beau, le bien ne sont pas faciles à discerner aujourd’hui sur notre terre. Les médias nous accablent de flashes sur un monde presque exclusivement Oppressé par la corruption, la bassesse et la violence. Il existe pourtant une autre vision, malheureusement trop cachée. Notre planète demeure habitée par des hommes et des femmes doués d'un singulier pouvoir d'altruisme : ils savent faire germer le bien dans les champs les plus rebelles à la Culture. Ce sont des catalyseurs d'espérance, ceux qui osent dire « il devient beau » devant le dernier des humains.

     

    Que de jeunes viennent se dévouer en volontaires. Les lieux les plus hétéroclites ! Le nombre est incalculable ces filles et garçons qui travaillent bénévolement et que rien  n'arrête. Parfois privés d'eau et d'électricité, je les ai vus coucher au milieu des rats et des ordures, abattre des taudis sous un soleil de feu, construire en dur avec des moyens de fortune, emporter au loin des immondices puantes qu'aucun ouvrier ne voulait remuer, soigner des lépreux aux plaies purulentes que docteurs et infirmières n'approchaient pas. Ils véhiculaient l'espérance et repartaient dans la joie Ils ont amplifié mon action, ils ont été le tremplin qui me' propulsait toujours plus loin et renouvelait ma verdeur comme celle de l'aigle.

     

    J’ai eu la chance et la malchance d’être médiatisée. La chance, oui, de tomber sur quelques gens de cœur travaillant dans les médias : leur interviews ont suscité des milliers et des milliers d’amis qui continuent à sauver des milliers et milliers d’enfants. Mais malchance aussi, car il y a une imposture là-dedans : je suis mise en relief comme si mon action était unique au monde, alors que celle plus humble, plus modeste, de tant de gens est laissé au rancart ! Un seul exemple : qui a parlé de sœur Albertina qui a passé sa vie, en même temps que moi dans une des plus pauvres favelas du Brésil et qui est morte dans l’accablement. Elle n’avait pas eu les moyens de sortir les enfants de la prostitution !

     

    Au Soudan, j'ai côtoyé un foisonnant clergé noir. Il anime et aide à survivre une quantité de chrétiens doués d'un courage peu ordinaire. Certains ont déjà été torturés les autres s'aident mutuellement et prient pour ne pas faiblir dans leur foi menacée. Les évêques luttent de toutes leurs forces   pour maintenir des écoles,   des   centres   médio sociaux. Ils tiennent bon, sont parfois emprisonnés, mais renoncent pas. Qui parle d'eux ? Qui parle de tous ces   acteurs anonymes, en Europe et à travers le monde, « rayonnent d'une foi vivante, agissante ?

     

    L’Église est certes terrestre, constituée de Terriens pétris du limon de la terre. Il est facile de trouver ceux qui, depuis vingt siècles, ont multiplié les erreurs et les fautes... c'est sa misère. Mais elle est habitée par l'amour du Christ. Depuis vingt siècles, il anime des hommes et des femmes qui, malgré leurs faiblesses, se sont consacrés corps et âme au service de leurs frères et sœurs. C'est là sa grandeur.

     

    La valeur d'un homme ne dépend  pas de ses convictions, mais de ses actions. Aussi la foi ne  peut-elle pas être une croyance abstraite qui scandalise par  son immobilisme. Elle nous fait entrer de plain-pied dans le mystère de l'incarnation où la divinité se révèle dans la  chair ; elle est une porte ouverte au mystère de Dieu  reconnu dans la vie des hommes ; elle unit Dieu à l’homme  dans la simplicité d'un même mouvement d'amour.

     

    Le Christ a capté ma fureur de vivre, il l’a projeté vers le bonheur des autres et m’y a fait trouver mon propre épanouissement

     

    Ainsi, en coulant mon regard dans le regard de Dieu sur  l'homme, j'ai approfondi l'homme. Le regard de Dieu est  toujours un regard de respect, de compréhension. Dieu a l'indulgence que montrent, en général, les mères : quoi qu’il  arrive, elles excusent tout de leur enfant et, pour lui sont  prêtes à tout car il est toujours plus ou moins innocent  leurs yeux. Dieu a aussi l'indulgence des père : si leur  enfant fait une chute, ils l'attribuent à sa faiblesse, s’il est  fautif, moins aveuglés que les mères, ils ne mettent cependant pas la faute ou le crime au premier plan, mais plutôt leur lien avec l'enfant bien-aimé. Dieu est l'avocat des causes perdues en apparence, car lui seul connaît le dédale du cœur, les labyrinthes d'une vie. 

     

     


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