• Carlo Maria MARTINI « Le rêve de Jérusalem

    Extrait du livre de Carlo Maria MARTINI « Le rêve de Jérusalem » (Entretien avec Georg Sporschill sur la foi, les jeunes et l’Eglise)

     

    « Nous autres chrétiens croyons que tout est crée à partir de l’amour. Dés lors, d’où vient le mal ? Pourquoi y a-t-il tant de souffrances ? » 

     

    Lorsque je regarde le mal qui existe dans le monde, cela me coupe le souffle. Je comprends les gens qui arrivent à la conclusion que Dieu n'existe pas. C'est seulement lorsque nous regardons le monde, tel qu'il est, avec les yeux de la foi que quelque chose peut changer. La foi éveille l'amour ; elle nous conduit à nous engager pour d'autres. Le don de soi fait naître l'espérance malgré la souffrance.

     

     

    La question de l’origine du mal, pas un homme ne peut y répondre. Mais il y a des approches possibles : Dieu a donné la liberté à l’homme. Il ne veut pas de robots, pas d’esclaves ; il veut des partenaires. Les partenaires répondent par oui ou par non aux offres qui leur sont faites ; ils aiment ou  n'aiment pas, ils ne sont pas contraints. Avec la liberté, cependant, naissent aussi les difficultés. Nous pouvons dire non, y compris à l'amour de Dieu, y compris au bien. 

     

    « Comment pouvons-nous vivre avec la souffrance et le malheur. »

    Lorsque je fais face au malheur et trouve le courage de m’en occuper, il se produit une dynamique à la suite de laquelle les malheureux deviennent plus heureux et les heureux plus reconnaissants. Ils sentent tout ce qu’ils peuvent faire. Ils ne disent pas d’une manière résignés : C’est comme cela, on n’y peut rien.

     

     

     

    Une grande  part du malheur que nous connaissons provient des hommes. Cela nous contraint à réfléchir au plan politique et à lutter pour la justice, pour la place des enfants, des personnes âgées et des malades, contre la faim, contre le sida. Nous autres humains pouvons accomplir beaucoup de choses positives avec les moyens et mes possibilités qui permettent de fabriquer des armes et de mener des guerres. Nous pouvons employer les mêmes moyens à d’autres fins, à des fins meilleures. Il ne suffit pas de demander : « Pourquoi mon Dieu, cela existe-t-il ? » nous devrions également demander : « Quelle est ma part dans tout cela et comment puis-je, moi, changer la situation ? » Et encore : « A quelle restriction, à quel renoncement suis-je disposé afin que quelque chose change ? »

     

    « Avez-vous une réponse à la question ; Qu’est-ce que Dieu nous demande ? »

    Dieu nous demande d’avoir confiance, à la foi confiance en lui et les uns dans les autres. La confiance vient du cœur. Si nous avons eu de nombreuses expériences positives comme enfants, avec les parents, avec des gens que nous aimons, nous devenons des hommes sûrs d’eux même et forts. Les hommes qui ont appris la confiance ne tremblent pas, mais ont le courage d’intervenir, de protester lorsque quelqu’un dit quelque chose de méprisant, de méchants, de destructeur. Ils ont surtout le courage de dire oui lorsque l’on a besoin d’eux.

     

    « Au lieu de prêcher vous-même, vous vous laissez instruire par la jeunesse. Est-ce un nouveau principe pastoral ? »

     

     

     

    C'est chez les jeunes que j'ai trouvé ce principe pastoral si c'en est un confirmé de la façon la plus nette. Personne dans l'Église n'est pour nous un objet, un cas ou un patient que nous devrions traiter; et surtout pas la jeunesse. Rien ne sert de rester assis devant sa table de travail et de réfléchir sur la façon de gagner les jeunes ou de construire la confiance; cette confiance, il faut qu'ils nous en fassent don. Ils sont les sujets qui se trouvent en face de nous, et avec lesquels nous recherchons un partenariat et un échange. Les jeunes ont quelque chose à nous dire. Ils sont l'Église, qu'ils soient d’accord ou non avec notre pensée et nos idées ou encore avec les prescriptions de l'Église. Cet échange, qui se déroule les yeux dans les yeux et non pas de haut en bas ou de bas en haut, garantit la dynamique de l'Église. Dès lors, la discussion .à partir des questions de l'homme moderne se déroule au cœur de l'Église.

     

    J'entends sans cesse des jeunes qui disent : « Je voudrais être vraiment indépendant. »

     

    L'indépendance est un but élevé et important. Je dirais volontiers à ces jeunes : Tu dois veiller sur toi et devenir fort, par ta formation et tes passe-temps, par le déploiement de tes facultés. Celui qui s'aime peut également en aimer d'autres. Celui qui se comprend peut également en comprendre d’autres. La foi et la confiance, la communication ouverte, cela s’apprend. Il faut espérer que dans l’Eglise se trouve les modèles et les enseignants qui fortifient les jeunes.

     

     

     

    « Personnellement comment avez-vous gagné des amis ? »

    Le moyen le plus efficace pour gagner des amis particulièrement important pour moi dans mon travail avec les jeunes tient dans une formule magique : « Fais des autres tes assistants, tes collaborateurs ! » Il faut tout simplement s’intéresser en premier lieux aux soucis des jeunes, et non à ce que l’on veut leur apprendre.

     

    Un ami fait grandir l’autre. Il découvre ses talents et l’aide à les utiliser et à les parfaire.

     

    « Que pouvons-nous enseigner à des jeunes selon vous ? »

     

    Nous ne pouvons rien enseigner aux jeunes; nous ne pouvons que les aider à écouter le maître intérieur. C'est une ; parole de saint Augustin; elle résonne curieusement. Il dit explicitement que nous ne pouvons que créer les conditions dans lesquelles un jeune peut comprendre. La compréhension, l'intelligence, doit lui être donnée de l'intérieur.

     

    « Votre parcours spirituel doit beaucoup, entre autres, à votre appartenance à une famille religieuse, la Compagnie de Jésus. Quel est, lorsque vous regardez votre vie aujourd'hui, le noyau de votre spiritualité « 

    À mes parents, je dois mes racines religieuses, ainsi que le respect à l'égard de ceux qui pensent autrement. Mais c'est également dans mes rencontres avec d'autres religions que fui appris beaucoup et surtout rencontré nombre de personnes pleines de bonté. Ce qui est beaucoup plus important pour moi qu'une religion déterminée et une forme extérieure, c'est que nous cherchions Dieu, honnêtement et en étant prêts à faire le don de nous-mêmes.

     

    « Quelle est la tâche des Jésuites aujourd’hui ? »

     

    Nous, Jésuites, devrions aider les hommes à comprendre le sens de la vie. Nous sommes invités par Jésus à être ses amis, à vivre avec lui et à travailler avec lui. Celui qui recherche la pauvreté plutôt que la richesse, qui accepte l'injure et le mépris au lieu de chercher des honneurs mondains, et qui sait que les difficultés peuvent faire mûrir l'être humain, devient l'homme le plus précieux. Il a confiance en lui-même, il sait pourquoi il est sur terre, il a un cœur joyeux. Cet accomplissement et l’espérance de ce qui viendra encore, c’est là le gain que procure Jésus

     

    « Vous voulez une Eglise ouverte. Vous avez le courage du risque. Sur quoi fondez-vous ici votre confiance ? »

     

     

     

    Oui je veux une Eglise ouverte, une Eglise dont les portes sont ouvertes à la jeunesse, une Eglise dont le regard est orienté vers un horizon lointain. Ce qui rend l'Eglise attrayante, ce n'est pas l'adaptation et les offres tièdes. J'ai confiance dans la parole radicale de Jésus, que nous devons transposer dans notre monde : en tant qu'aide à la vie, en tant que Bonne Nouvelle que Jésus veut apporter. « Transposer » ne veut pas dire « banaliser ». C'est par notre vie, avec le courage de l'écoute et de ma confession ; que la parole de Jésus doit montrer son profil aujourd'hui. Jésus veut soulager ceux qui mènent une vie pénible et qui sont accablés, il veut montrer aux riches leurs possibilités et s'opposer à ceux qui pratiquent l'injustice.

     

    Je suis impressionné par la question de Jésus : le Fils de l'homme, lorsqu'il reviendra, rencontrera-t-il la foi sur la terre ? Il ne demande pas : Rencontrerais-je une grande Église bien organisée ? Il sait apprécier aussi bien une Église pauvre et petite, animée d'une foi puissante et agissante selon cette foi. Nous ne devons pas nous rendre dépendant des chiffres et des résultats. Nous sommes dès lors beaucoup plus libres de suivre l'appel de Jésus.

     

    « Comment voyez-vous les relations interreligieuses ? Quels en sont les objectifs ? Et quelles en sont les illustrations les plus marquantes ? »

     

    A l'automne 2007, Benoît XVI a repris le débat interreligieux à

     

    Naples : de très hauts représentants du judaïsme, de l'islam et du christianisme ont donné suite à son invitation, y compris le patriarche de Constantinople et l'archevêque de Canterbury. C'était une rencontre de la paix, à la fois interreligieuse et internationale. C'est une source d'espérance dans un monde belliqueux.

     

    Je perçois aussi le respect profond dont jouit le dalaï-lama chez bien des chrétiens; il est fréquemment invité à des rencontres d'Eglise, ainsi que par des hommes politiques chrétiens. Ceux-ci risquent, el le rencontrant, une dégradation de leurs relations avec la puissance mondiale qu'est la Chine. Le dalaï-lama est également venu chez moi, c'est un homme modeste. Par sa personnalité, il nous invite à la franchise et à la paix.

     

    Le mahatma Gandhi est également un grand exemple pour moi ; il n'a jamais caché le fait qu'il tenait de Jésus son action pour la paix et sa résistance non violente II vivait avec la Bhagavad-Gîta, l'un des écrits fondamentaux de l'hindouisme, et il appréciait hautement le Sermon sur la montagne de Jésus. Il était un vigoureux combattant par la parole ; il a pris le chemin d'un Hindou, le chemin vers Dieu par lequel Jésus nous mène en tant que Chrétiens

     

    «L'individu n'est-il pas impuissant vis-à-vis de la misère et l'injustice oui règne dans le monde ? »

     

     

     

    Lorsque je suis informé d'une catastrophe seulement par la télévision ou la presse, je me sens abattu et impuissant. En revanche, lorsque j'aide une personne, je peux ressentir ma force. Être simple spectateur, c'est déprimant ; aider une personne, cela surprend par le résultat : je peux sauver une vie, je peux compter sur l'assistance et la puissance de Dieu. La tâche première des institutions sociales et caritatives est de procurer à tous les hommes de bonne volonté, et d'abord aux jeunes, un accès à des personnes qui ont besoin d'eux et à des situations où ils peuvent être utiles. Construire de tels ponts, c'est un savoir-faire que les professions sociales modernes peuvent développer encore davantage Tous les jeunes ont le droit d'être appelés à participer à la lutte conte les injustices.

     

    « Que peuvent faire les jeunes pour gagner la confiance de leurs aînés et être impliqués dans l'engagement pour la justice ? »

     

    J'aimerais inverser la question. N'est-ce pas plutôt nous, les adultes et les aînés qui devons gagner la confiance de jeunes ? Ce sont bien les jeunes qui nous devancent dans la marche vers la justice. Qui attire l'attention de l'industrie sur la destruction de l'environnement et qui proteste, si ce n'est les jeunes ? La jeunesse a développé une prise de conscience nouvelle et aiguë pour ce que nous théologiens, appelons la Création ; sur ce plan, nous ne pouvons que nous laisser entraîner par elle.

     

    J'attends le renouveau surtout du côté des jeunes. Les initiatives en matière sociale, la bonne action quotidienne, les groupes de chrétiens d'action contiennent un potentiel énorme. Quelques fois, c'est seulement une braise sur laquelle nous devons souffler pour attiser le feu.

     

    Transmets à tes enfants un monde qui ne soit pas détruit. Ancre-les dans la tradition, et surtout dans la Bible ; lis-la avec eux garde une profonde confiance dans les jeunes ; ils sauront résoudre les problèmes. N'oublions pas toutefois d'imposer des limites aux enfants. Ils apprendront à supporter les difficultés et les outrages dès lors que la justice leur importe plus que tout.

    Carlo Maria MARTINI « Le rêve de Jérusalem


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