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L’innocence
Si tu veux nous ferons notre maison si belle
Que nous y resterons les étés et l'hiver !
Nous verrons alentour fluer l'eau qui dégèle,
Et les arbres jaunis y redevenir verts.
Les jours harmonieux et les saisons heureuses
Passeront sur le bord lumineux du chemin,
Comme de beaux enfants dont les bandes rieuses
S'enlacent en jouant et se tiennent les mains.
Un rosier montera devant notre fenêtre
Pour baptiser le jour de rosée et d'odeur ;
Les dociles troupeaux, qu'un enfant mène paître,
Répandront sur les champs leur paisible candeur.
Le frivole soleil et la lune pensive
Qui s'enroulent au tronc lisse des peupliers
Refléteront en nous leur âme lasse ou vive
Selon les clairs midis et les soirs familiers.
Nous ferons notre coeur si simple et si crédule
Que les esprits charmants des contes d'autrefois
Reviendront habiter dans les vieilles pendules
Avec des airs secrets, affairés et courtois.
Pendant les soirs d'hiver, pour mieux sentir la flamme,
Nous tâcherons d'avoir un peu froid tous les deux,
Et de grandes clartés nous danseront dans l'âme
À la lueur du bois qui semblera joyeux.
Émus de la douceur que le printemps apporte,
Nous ferons en avril des rêves plus troublants.
— Et l'Amour sagement jouera sur notre porte
Et comptera les jours avec des cailloux blancs...Anna de Noailles
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Il était un roi
Il était un roi si pauvre
Qu’il n’avait pas même un chien.
Il traversait son royaume,
Pieds nus, comme un bohémien.
Il était le roi si simple
Qu’il dormait sans matelas.
Il n’inspirait nulle crainte,
Il n’avait pas de soldats.
Mais tous ceux qui lui parlaient
Se sentaient les rois d’un jour
Tant sa voix leur inspirait
De force grave et d’amour.
Ainsi ce roi sans couronne
Créait chaque jour des rois,
Car la vraie royauté donne
Bien plus qu’elle ne reçoit.
Maurice Carême (La lanterne magique)
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