• Poèmes divers (Milly ou la terre natale)

    Milly ou la terre natale

     

    Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ?

    Dans son brillant exil mon cœur en a frémi ;

    II résonne de loin dans mon âme attendrie,

    Comme les pas connus ou la voix d'un ami.

    Montagnes que voilait le brouillard de l'automne,

    Vallons que tapissait le givre du matin,

    Saules dont l'émondeur effleurait la couronne,

    Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,

    Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide,

    Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour

    Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide,

    Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour,

     

    Chaumière où du foyer étincelait la flamme,

    Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,

    Objets inanimés, avez-vous donc une âme

    Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?

     

    Voilà le banc rustique où s'asseyait mon père,

    La salle où résonnait sa voix mâle et sévère,

    Quand les pasteurs, assis sur leurs socs renversés,

    Lui comptaient les sillons par chaque heure tracés,

     

    Où qu'encor palpitant des scènes de sa gloire,

    De l'échafaud des rois il nous disait l'histoire,

    Et, plein du grand combat qu'il avait combattu,

    En racontant sa vie enseignait la vertu !

    Voilà la place vide où ma mère à toute heure,

    Au plus léger soupir, sortait de sa demeure,

    Et, nous faisant porter ou la laine ou le pain,

    Vêtissait l'indigence ou nourrissait la faim ;

    Voilà les toits de chaume où sa main attentive

    Versait sur la blessure ou le miel ou l'olive,

    Ouvrait près du chevet des vieillards expirants

    Ce livre où l'espérance est permise aux mourants,

     

    Recueillait leurs soupirs sur leur bouche oppressée,

    Faisait tourner vers Dieu leur dernière pensée,

    Et, tenant par la main les plus jeunes de nous,

    A la veuve, à l'enfant, qui tombaient à genoux,

    Disait, en essuyant les pleurs de leurs paupières :

    Je vous donne un peu d'or, rendez-leur vos prières. »

    Voilà le seuil, à l'ombre, où son pied nous berçait,

     

    La branche du figuier que sa main abaissait ;

    Voici l'étroit sentier où, quand l'airain sonore

    Dans le temple lointain vibrait avec l'aurore,

    Nous montions sur sa trace à l'autel du Seigneur

    Offrir deux purs encens, innocence et bonheur !...

     

    Alphonse de Lamartine

    FLEUR REDUITE 5

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