• « Lumière du monde »

    Extrait du livre de Benoît XVI

    « Lumière du monde »

    (Le pape, l’Église et les signes des temps)

    Entretien avec Peter Seewald

     

    Résumé : « Le Pape veut aujourd'hui que son Église se soumette à une sorte de purification fondamentale, Il s'agit selon lui de montrer Dieu aux hommes, de leur dire la vérité. La vérité sur les mystères de la Création, La -vérité sur l'existence humaine. Et la vérité sur notre espérance, au-delà même de notre seule vie sur terre, »

     

    Jamais un pape n'avait pris une telle décision : ouvrir son cœur à tous, ne laisser aucune question de côté. Comment Benoît XVI

     

    juge-t-il les cinq premières années de son pontificat? Comment se voit-il en pape? Que nous dit-i! à propos du scandale des abus sexuels dans l'Église, du cas Williamson, de la réforme de l'Église ? Quel dialogue er quelles relations avec le judaïsme, avec l'islam ? Que dit le chef de plus de un milliard de catholiques sur les évolutions de la société occidentale, sur les défis éthiques, écologiques de notre monde, sur l'athéisme contemporain ?

     

    Peter Seewald est journaliste et écrivain allemand. Le pape Benoît XVI l'a exceptionnellement reçu en juillet 2010 dans sa résidence de Caste! Gandolfo, plus de treize ans après leur premier livre (Le sel de la terre, 1997} quand le Pape n'était encore que le cardinal Joseph Ratzinger.

     

     

     

    « Avec Benoît XVI, personne ne tremble. Il facilite la tâche du visiteur. Ce n'est pas un prince de l'Église, mais l'un de ses serviteurs, un grand homme qui donne et qui puise toute sa force dans son don. Parfois il vous regarde d'un air un peu sceptique. Comme cela, au-dessus des lunettes. Grave, attentif. Et lorsqu'on l'écoute, quand on est assis à côté de lui, on ne sent pas seulement la précision de sa pensée et l'espoir qui naît de la foi : c'est un éclat de la lumière du monde qui devient singulièrement visible, un reflet du visage de Jésus Christ, qui veut rencontrer chaque être humain et n'exclut personne. (Peter Seewald) »

     

    « Vous êtes maintenant le pape le plus puissant de tous les temps. Jamais auparavant l’Église catholique n’a eu autant de fidèles, jamais elle n’a connu une telle extension, littéralement jusqu’aux extrémités du monde. »(PS)

     

    « Le pouvoir du pape n’est pas fondé sur les chiffre.

     

    La communion avec le pape est d'un autre ordre, tout comme, bien entendu, et naturellement, l'appartenance à l'Église. Parmi ce 1,2 milliard, beaucoup n'en font pas intimement partie. Saint Augustin l'a déjà dit en son temps : il en est beaucoup dehors qui semblent être dedans, et il y en a beaucoup dedans qui semblent être dehors. En matière de foi, d'appartenance à l'Église catholique, intérieur et extérieur sont mystérieusement entrelacés. En cela Staline, déjà, avait raison de dire que le pape n'a pas de divisions et qu'il ne commande rien. Il n'est pas non plus à la tête d'une grande entreprise où tous les fidèles de l'Église seraient pour ainsi dire ses employés ou ses sujets.

     

    D'un côté, le pape est un être tout à fait impuissant. D'un autre côté, il a une grande responsabilité. Il est, dans une certaine mesure, celui qui conduit, le représentant de la foi, il a en même temps la responsabilité de faire que l'on croie en la foi qui unit les hommes, qu'elle demeure vivante et qu'elle reste intacte dans son identité. Mais seul le Seigneur Lui-même a le pouvoir de maintenir les hommes dans la foi. »

     

    « Le mal appartiendra toujours au mystère de l’Église. Quand on voit tout ce que des hommes, tout ce que des ecclésiastiques ont fait dans l’Église, c’est précisément une preuve que le Christ soutient l’Église et l’a fondée. Si elle ne dépendait que des hommes, elle aurait péri depuis longtemps. »

     

    « L’homme doit chercher la vérité ; il est capable de vérité. Que la vérité ait besoin de critères qui permettent de la vérifier et de s’assurer qu’elle n’a pas été falsifiée, cela va de soi. Elle doit toujours aussi aller de pair avec la tolérance. Mais la vérité nous fait alors apparaître ces valeurs constantes qui ont donné sa grandeur à l’humanité. Il faut apprendre de nouveau et pratiquer l’humilité qui permet de reconnaître la vérité comme porteuse de repères. Que la vérité ne parviendra pas à régner par la force, mais par son propre pouvoir, c’est le contenu central de l’Évangile selon Saint Jean. Jésus se présent devant Pilate comme La Vérité et comme témoin de la vérité. Il ne défend pas la vérité avec l’aide de légions, mais la rend visible par sa Passion, et c’est aussi de cette façon qu’il la met en vigueur. »

     

    « Nous devons nous efforcer de faire en sore que les deux, Église et pensée moderne, autant que cela puisse se concilier, s’adaptent l’une à l’autre. L’existence chrétienne ne doit pas devenir une sphère archaïque que je maintiens d’une manière ou d’une autre et où je vis en quelque sorte à côté de la modernité. C’est bien plutôt quelque chose de vivant, de moderne, qui travaille et forme l’ensemble de ma modernité qui littéralement, l’embrasse.

     

    Il est important que nous essayons de vivre et de penser le christianisme de telle manière que la bonne, la vraie modernité l’accepte en soi et en même temps se sépare et se distingue de ce qui devient une contre-religion. »

     

    « On se demande souvent comment il est possible que les chrétiens, qui sont personnellement des êtres croyants, n'aient pas la force de mettre leur foi plus fortement en action sur le plan politique. Nous devons avant tout veiller à ce que les hommes ne perdent pas Dieu du regard. Qu'ils reconnaissent le trésor qu'ils possèdent. Et qu'ensuite, d'eux-mêmes, avec la force de leur propre foi, ils puissent se confronter à la sécularisation et accomplir la séparation des esprits: Cet immense processus est la véritable grande tâche de notre époque. Nous pouvons seulement espérer que la force intérieure de la foi présente dans les hommes acquière aussi une puissance dans la vie publique, en marquant aussi publiquement la pensée, et pour que la société ne tombe pas simplement dans un gouffre sans fond. »

     

    « Vous êtes resté vingt-quatre ans aux côtés de Jean-Paul II et vous connaissiez la curie comme personne. Mais combien de temps vous a-t-il fallu pour comprendre tout à fait le gigantisme écrasant de cette charge ? »

     

    « On comprend très vite que c'est une charge immense. Quand on sait que comme aumônier, comme curé, comme professeur, on porte déjà une grande responsabilité, il est facile d'imaginer par extrapolation quel fardeau gigantesque pèse sur celui qui porte la responsabilité de toute l'Église. Mais alors on doit être d'autant plus conscient que l'on ne fait pas cela tout seul. On le fait d'un côté avec l'aide de Dieu, d'un autre côté avec un grand nombre de collaborateurs. Vatican II nous a enseigné avec raison que la collégialité est constitutive de la structure de l'Église. Que le pape n'est premier qu'avec les autres et qu'il n'est pas quelqu'un qui prendrait des décisions tout seul en monarque absolu et ferait tout lui-même. »

     

    « L’Église catholique est le premier et le plus grand global Player  de l'histoire du monde. Mais il est notoire qu'elle n'est pas une entreprise et que le pape n'est pas le chef d'un groupe industriel  Qu’est-ce qui la différencie de la direction d'un empire commercial multinational ? »

     

    « Eh bien, nous ne sommes pas un centre de production nous ne sommes pas une entreprise qui recherche le profit nous sommes l'Eglise. C'est-à-dire une communauté d'hommes et de femmes rassemblée dans la foi. Notre tâche n'est pas de fabriquer n'importe quel produit ou d'avoir du succès dans la vente de marchandises. Notre tâche est plutôt de vivre la foi de la proclamer et en même temps de maintenir cette communauté de volontaires qui traverse toutes les cultures, qui franchit les nations et les époques, et qui ne repose pas sur des intérêts extérieurs, mais sur une relation intérieure avec le Christ et donc avec Dieu lui-même. »

     

    « Nous vivons aujourd’hui dans un monde totalement différent où les lignes de front ont changé. Dans lequel on trouve d’un côté une sécularisation radicale, de l’autre côté la question de Dieu, dans toute sa diversité. L’identité de chaque religion doit bien entendu subsister. Nous ne pouvons par nous dissoudre les unes dans les autres. Mais d’un côté il faut essayer de se comprendre mutuellement.

     

    Nous devons en tout cas essayer de vivre ce que notre foi a de grand et d’en donner une image vivante, mais aussi de comprendre l’héritage des autres. L’important, c’est de trouver ce que nous avons de commun et de servir ensemble dans ce monde, là où c’est possible. »

     

    « Le pape n’est peut pas l’homme le plus puissant du monde, mais ses voyages planétaires lui permettent de toucher des millions de personnes, plus que n’importe quelle pop star. Autrefois, on ne vous considérait pas forcément comme un grand tribun. Cela donne le trac ? »

     

    « Les voyages me mettent tout de même toujours beaucoup à contribution. Le trac, à proprement parler, je ne l’ai pas, car tout est bien préparé. Je sais que ne parle pas en mon nom propre, que je suis simplement là au nom du Seigneur – et je ne dois pas me demander si je fais bien les choses, si j’ai bonne mine, si je suis apprécié, et toute cette sorte de choses. J’accomplis la mission qui m’a été confié, en ayant conscience de le faire au nom d’un autre, et que cet autre répond aussi de moi. Dans ce sens, ces voyages se déroulent sans craintes intérieure. »

     

    « Votre prédécesseur passait pour un grand bateleur dont la seule présence physique, la voix et la gestuelle produisait un effet considérable et avait un immense écho dans les médias. Vous n’avez pas forcément la même stature, ni la même voix. Cela vous a-t-ii posé un problème. »

     

    Je me suis simplement dit : je suis comme je suis, je ne cherche pas à être un autre. Ce que je peux donner, je le donne, et ce que je ne peux pas donner, j’essaie aussi de ne pas le donner. Je ne cherche pas à faire de moi-même ce que je ne suis pas. J’ai été élu, c’est tout, les cardinaux en portent aussi la responsabilité, et je fais ce que je peux.

     

    « Quelles que soient les transformations, l'homme reste cependant toujours le même. Il n'y aurait pas tant de croyants si les gens n'avaient pas toujours cette idée au fond de leur cœur : Oui, ce qui est dit dans la religion, c'est ce dont nous avons besoin. La science à elle seule, de la manière dont elle s'isole et prend son autonomie, ne couvre pas la totalité de notre vie. C'est un domaine qui nous apporte de grandes choses, mais pour y parvenir telle a besoin que l'homme reste un homme. Nous avons bien vu que le progrès a certes fait progresser nos capacités, mais ni notre grandeur ni notre humanité. Nous devons retrouver un équilibre intérieur, et nous avons aussi besoin de grandir intellectuellement : cela, nous le voyons de mieux en mieux, dans les grandes difficultés de notre temps. Même lors des nombreuses rencontres avec les grands chefs d'État, je ressens une puissante conscience du fait que le monde ne peut pas fonctionner sans la force de l'autorité religieuse. »

     

    « Dieu ne s’impose pas. Il ne le fait pas de la manière dont je peux constater : ici, sur la table, il y a un verre ; il est là ! Son existence est une rencontre qui descend jusqu’au plus intime et au plus profond de l’homme mais ne peut jamais être réduite à la tangibilité d’une chose purement matérielle. C’est la raison pour laquelle, compte tenu des dimensions de l’événement, il est clair que la foi est toujours quelque chose qui se produit dans la liberté. Elle recèle la certitude qu’il s’agit de quelque chose de vrai, d’une réalité, mais à l’inverse, elle n’exclut jamais totalement la possibilité de la négation. »

     

    « Il y a quatorze ans je vous demandais si cela valait seulement encore la peine d’embarquer à bord de l’Église, ce bateau qui paraît déjà un peu affecté par les faiblesses de l’âge. Il faut demander aujourd’hui si ce navire ne ressemble pas de plus en plus à une arche de Noé. Qu’en dit le pape ? Pouvez-vous encore nous sauver par nos propres forces, sur cette planète ?

     

    « Par ses propres forces, l’homme ne peut de toute façon pas maîtriser l’histoire. Que l’homme soit en péril et qu’il mette le monde en danger, on en a aussi aujourd’hui des preuves scientifiques. Il ne peut être sauvé que si les forces morales grandissent dans son cœur ; des forces qui ne peuvent venir que de la rencontre avec Dieu ; des forces qui résistent. Dans cette mesure, nous avons besoin de lui. L’autre qui nous aide à être ce que nous ne pouvons être nous-mêmes ; et nous avons besoin du Christ, qui nous rassemble au sein d’une communauté que nous appelons l’Église. »

     

     

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