• Extraits de livres lus : « Quand la fragilité change tout. » La force fragile

    Extraits de « Quand la fragilité change tout. »

    D’Anne-Dauphine Julliand, Emmanuel Faber

    Philippe Pozzo di Borgo et de Jean Vanier

     

    Résumé : La fragilité n’est pas une idée abstraite, c’est une expérience qui transforme nos vies : nos repères vacillent et, avec eux, les représentations que nous avions d’une existence idéale. Cet ouvrage est issu des travaux, des réflexions et des témoignages de personnes qui, sous des aspects très divers, ont accepté d’être transformées en accueillant la fragilité qui venait percuter ou simplement interroger leur vie. Ainsi, avec l’apport de psychologues, de médecins, de sociologues, de philosophe, nous essaierons de comprendre comment le changement du regard porté sur la fragilité peut conduire à ce que de la fragilité elle-même puissent naître des choses belles et grandes.

    Beaucoup des auteurs que nous allons rencontrer au fil de ses pages nous parleront de leur expérience personnelle de cette rencontre souvent difficile, allant parfois jusqu’aux limites de l’humainement supportable. Et pourtant, c’est dans cette expérience qu’ils ont puisé les ressources qui les ont fait passer de l’égoïsme à l’amour, de l’esclavage à la liberté, de l’enfermement sur soi à l’ouverture aux autres. C’est, in fine, grandir ! C’est le chemin vers la pleine maturité humaine. Comment la rencontre de la fragilité peut elle transformer ? C’est la question à laquelle les auteurs de cet ouvrage répondront chacun à leur manière.

    (Bernard Bresson, Président de la Fédération de l’Arche en France)

     

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    La force fragile

    (Philippe Pozzo Di Borgovoit sa vie totalement bouleversée par un accident de parapente qui le laisse tétraplégique en 1993, puis par le décès de son épouse en 1996. Il écrit Le Second (Bayard, 2001, qui inspirera le film Intouchables, dans lequel il raconte la rencontre et la relation improbable nouée avec Abdel Sellou, un jeune de banlieue qui a été son aide de vie pendant plusieurs années.)

    La force a de nombreux aspects dominants dans notre société, et s’interdit pour s’exercer d’être faillible, d’être fragile. La fragilité, qui recouvre aussi de nombreux visages et degrés, est souvent perçue comme une faille, une pesanteur, un handicap, un manque, voire une déchéance, dans tous les cas une vulnérabilité.

    Je m’écrase en parapente en 1993. De très bonne constitution, habitué à l’effort, et surtout extraordinairement accompagné par ma femme et mes enfants, je me rétablis à une vitesse qu’aucun des médecins ne croyait possible. Je suis cassé mais pas fragilisé. Je me remets en route en découvrant, grâce à la présence de Béatrice, de mes proches et de l’équipe de soins fantastique qui m’assiste, des richesses insoupçonnées.

    Alors que je suis totalement paralysé, dans des souffrances parfois inconfortables, je fais l’expérience, dans cette chambre d’hôpital où je passerai près de deux ans, du silence. Nous vivons dans une société de bruit et de mouvement qui occulte notre conscience. Dans ce silence, je retrouve l’innocence de l’enfant que j’ai été, et je peux faire mon examen de conscience, exercer un questionnement sur mon cheminement. Il faut faire silence pour se découvrir, faire sens. Dans le silence, on entend finalement les autres, l’extraordinaire richesse  de la multitude et de la différence. Le bruit et le mouvement caractérisent la force ; le silence et la conscience sont des sources où puiser un sens à la fragilité.

    Totalement paralysé, j’apprends la patience car il ne s’agit pas d’être impétueux lorsqu’on est dépendant. La frénésie qui me caractérisait laisse place à la tranquillité, ne réservant que dans les cas d’urgence une demande adressée à un tiers. Dans ce milieu hospitalier, je m’aperçois que je ne suis pas seul et que l’établissement où je suis  est peuplé de centaines de blessés et de fragiles. Je dépends totalement des autres, et très rapidement je prends conscience qu’au lieu  de m’insurger contre cette position de faiblesse, il est beaucoup plus utile d’accepter cette dépendance et d’être aimable, voire chaleureux et intéressé par celui qui vous assiste. Dans cette dépendance il y a enfin la possibilité d’une relation à l’autre, vraie.

    La force et la fragilité ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais peuvent être, sous certaines conditions, indispensables l’une à l’autre et devenir ainsi la source d’une nouvelle manière d’être ensemble. Je ne veux pas ici m’étendre sur les drames et les impasses que la force à provoqués dans notre monde, sauf pour en retenir les aspects où l’attention à la grande fragilité donne une solution.

    Il faut faire silence devant la grande fragilité, être disponible, à l’écoute, déchiffrer au-delà de la parole, souvent déficiente. Assumer le grand handicap, c’est se désinvestir de soi-même, un renversement des passions et du cœur dont  on était le centre, tout à coup mis à la disposition de l’autre différent

    « On sent bien que les maux de notre société, basés sur l'égoïsme du sujet, avide de se sécuriser, ne pourront être guéris que lorsque nous sortirons de nous-mêmes, que nous accepterons de nous rendre vulnérables, pour considérer les plus fragiles. D'où l'importance de l'Arche et de l'association Simon de Cyrène qui placent les foyers de vie partagée au centre de la ville, au centre de la vie, où le grand handicap est au centre d’une communauté de valides. »

    chat 2204

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