• Extraits de livres lus (Pont désert)

    Extrait de « Pont désert »

    De Franck Andriat

     

    Résumé : « C'est au regard qu'on porte sur ce qui nous entoure qu'on peut se reconnaître capable d'aimer. Le vide que je voyais dans le monde n'était qu'en moi. Le jugement que je portais sur les autres aussi. »

    À quarante ans, Julien ne sait plus où il en est. Proche du chaos, vide de lui-même. Désœuvré, il va s'asseoir sur un banc du pont des Arts, en face de l'île de la Cité. Il se laisse glisser dans son absence jusqu'au moment où, soudain, il se sent rencontré.

    Un roman qui dit, avec une grande sobriété, que c'est souvent au plus bas de nous-mêmes que nous devenons capables de recevoir l'espoir et la lumière.

    « Ce n’est pas parce qu’on écrit la recette du bonheur qu’on la déguste. Il faut encore pouvoir préparer le plat et éviter que la sauce tourne. On croit toujours que l’autre est mieux que soi ; c’est ça qui en perd beaucoup. Tu t’attaches aux lieues  qui brillent de l’extérieur sans prendre le temps d’observer la lumière en toi, même si elle n’est plus forte que  la flamme d’une allumette. A force d’agir ainsi, tu t’obscurcis, car la lumière des autres, elle n’éclaire jamais la tienne si tu n’es pas capable de l’entretenir. »

     

    « Si ma vie n'avait pas été un tel vide à l'intérieur, si j'avais éprouvé ta présence avant ce jour de mai, j'aurais pu construire des balises qui m'auraient guidé sur un chemin. J'aurais cessé de tourner en rond, de ne voir que le bout de mon nez. Le véritable malheur réside là: dans cette imperméabilité au monde et aux autres, lorsqu'on n'est capable que d'être centré sur soi, d'être concentré en soi, d'être enfermé, d'être en enfer. Sans les autres, pas de salut. Je l'ai subitement compris sur le pont quand, d'un coup d'ailes, j'ai glissé en toi. 

     

    « Appuyé contre le parapet, au-dessus de la gare de l’Est, je vainquais le monde sans savoir qu’on ne gagne aucune bataille lorsqu’on a l’âme d’un vaincu. »

     

    « Jusqu'à ce matin de mai où je n'avais 'pourtant pas prévu d'être heureux. En errance, avant l'heure du boulot qui, cette fois, débutait dans l'après-midi. Mes pas m'ont conduit sur le pont des Arts. Une habitude prise depuis le temps où je bosse dans le quartier des éditeurs. Je gère un stock avec quelques gars aussi mal payés que moi. Des journées entières à déballer des livres et à les ranger. Le pont des Arts est un bol d'oxygène, mon lieu de tranquillité avant et après le stress. Je me suis assis sur le banc presque au milieu du pont, celui qui connaît le mieux mes fesses. Je ne m'attendais sincèrement à rien. Une légère brise par ce temps chaud et le paysage presque immobile de l'île de la Cité.

    Ton arrivée a créé un choc. Une réelle prise 'de conscience, une ouverture en moi. Immense. Bouleversante. Cette manière que tu as eue de me regarder en beau m'a soudain révélé le gâchis de mon existence, la lumière que je n'avais pas été capable de voir »

     

    « J'ai manqué de racines où puiser de la sève. C'est sans doute pour cela que je suis devenu un anorexique de l'âme. Je me suis rapidement inventé des histoires où je n'étais pas moi, mais un autre, un personnage de roman, une espèce de héros parfait à qui j’offrais de vivre par procuration tout ce que je ne vivais pas. Et toi, soudain, par la magie du regard que tu as posé sur l'épave que j'étais devenu, toi, tu as changé cela. En quelques secondes  à peine. Le temps qu'il m'a fallu pour lire que j'étais un homme dans le regard, que tu portais sur moi. La considération que l'autre éprouve pour nous métamorphose notre vie »

    « On peut vivre         au milieu du vide sans s’y abandonner. On peut même se nourrir de son vide et de son malheur. On peut être rempli de rien et s’entretenir dans cet état en se plaignant d’une existence imprégnée de ce même rien qu’on ne cesse inconsciemment de nourrir. J’aurais du comprendre beaucoup plus vite que ne pouvais pas être heureux en cultivant du malheur, que je ne pouvais pas exister au présent en invoquant sans cesse le passé. »

    «  Il serait sans doute utile que je parle un peu plus de toi. Il y a tellement à dire et, en même temps, presque rien. Peut être parce que tu es au-delà de ce qui se raconte, au-delà de ces mots qui ne peuvent que peindre la réalité en la trahissant. »

     

    « J’ai songé à mes parents. Avec une tendresse que je n’avais éprouvée que lorsque j’étais très petit, avant de vraiment les connaître. Ca me fait un bien immense. Une libération. Quand on peut voir les autres en beau, c’est d’abord soi qu’on libère. »

     

    « Mon regard sur le monde avait changé et le monde n’était désormais plus  le même. »

     

    « La vie frémit autant dans le plaisir des petites choses que dans les miracles. Mais la lumière du quotidien n’éblouit pas et c’est sans doute pour ça qu’on a tant de mal à la voir. Elle nous imprègne de l’intérieur, avec patience, comme murmure ailé qu’on peut faire taire d’un claquement des doigts. »

     

    « Toi, tu ne fais pas de différence entre les pauvres et les riches. Tu n’exige aucun diplôme, aucune décoration. La vie s’offre à tout le monde. Tu frémis sans cesse, tu tressailles ; à chacun de t’accorder un espace où jaillir. C’est ce que j’ai pu faire sur le Pont des Arts, moins par volonté de l’accueillir que par désespérance. Je me suis abandonné et tu es venu.

     

    « Car je m'en rendais bien compte. Cette rencontre de toi en moi, ce surgissement de la  magie   de   ton   être   dans   le   mien  ne   me    coupaient ni de la grisaille ni des orages. Ma vie n'était pas d'un coup devenue lumineuse comme le ciel de ce matin de mai, ma vie n'était rendue ni angélique ni magique par ta  présence, coupée de mon humanité et de ses hésitations nécessaires. Ma vie habitée conservait ses ombres et ses lumières, mais elle avait acquis un socle : elle pouvait se reposer sur la certitude que j'étais accompagné, qu'au-delà du chaos de ma petite personne, il existait une plage où me poser, une page de plénitude qui s'écrit sans cesse. »

     

    « J'avais longtemps pensé que tout ce qui touche à la spiritualité est proche de l’exaltation, voire du délire. Tu me permettais de comprendre   que   l'espérance   se   nourrit davantage  de  fragilité  que  d'éclat,  tu  me donnais de ressentir que l'on commence à vivre en certitude lorsqu'on ne vit plus seulement de soi. »

     

    « J’ai regardé une dernière fois l'île de la Cité, la pointe du Vert-Galant, la Seine et je me suis mis en route. Mes pas claquaient fermement sur le pont des Arts et de désert il n'y avait plus ici qu'un souvenir. Tu m'accompagnais, tu ne me lâcherais jamais, j'en éprouvais la joyeuse certitude. Pour moi, avec toi et en toi, il était enfin temps de naître. »

     

    Un-peu-de-tendresse X

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