• Contes d'Henri Gougaud : Le langage de l'eau

    Le langage de l’eau

     

    " Un matin (nous étions au bord de la rivière), El Chura………… m'a pris par le bras et m'a soufflé à l'oreille :

    - Aujourd'hui tu vas apprendre son langage. Elle a des choses à te dire.

    - Comment apprendre le langage de l'eau, Chura ?

    - Plonge ton visage dedans et écoute.

    - Mais, Chura, je vais m'étouffer.

    - Cesse de te raconter des histoires. Fais ce que je te dis.

    Il a tourné les talons, et il est parti. Il n'était pas loin de midi. J'ai hésité à m'agenouiller là, sur la berge de la rivière. Quelqu'un pouvait à tout instant venir. Je craignais de passer pour un jobard si j'étais surpris à plonger ma tête dans le courant, le cul en l'air, comme un flamand rose. J'ai décidé de grimper dans la montagne, où je connaissais un petit lac.

    D'un moment, sur le rivage, une sorte de timidité sacrée m'a retenu. Je craignais de faire du bruit. J'étais seul dans le silence de la montagne. Je devais accomplir un rite, et je me sentais maladroit. J'ai regardé l'herbe. Elle m'a dit : " Va, ce n'est pas grave, c'est un jeu." Je me suis accroupi, j'ai pris un grand coup d'air, j'ai enfoncé ma tête dans l'eau, lentement, et j'ai osé ouvrir les yeux. Le soleil, au fond, caressait le sable, et le sable scintillait. Des millions d'étoiles, au gré de la houle, naissaient, s'éteignaient, renaissaient ailleurs. Comme je contemplais cela, je me suis soudain senti prodigieusement vaste, sans questions, sans espoir, sans peur aucune, tranquille comme un dieu veillant sur l'univers. L'eau faisait à mes oreilles une rumeur d'océan. J'ai eu un instant la sensation que des mains amoureuses palpaient ma figure, mon cou, mon crâne. J'ai relevé la tête. J'ai retrouvé l'air du jour, le soleil. J'ai vu mon reflet tourmenté par la pluie de gouttelettes qui retombaient à l'eau. Je n'étais plus qu'un petit homme, presque rien. Je me suis frotté les yeux. La montagne, le ciel, l'herbe m'ont paru tout proches, complices, attentifs. J'ai plongé à nouveau et j'ai plongé encore jusqu'à m'enivrer de cette découverte : au-dedans j'étais un dieu, au dehors, j'étais un nain. Au-dedans j'étais en paix, au-dehors j'étais en doute. Je suis redescendu vers le village. El Chura m'attendait devant ma cabane. Je lui ai raconté ce qui s'était passé. Il m'a dit : - L'eau est une porte. Le vent, la pluie, la nuit, la neige, les pierres sont aussi des portes. Par n'importe laquelle de ces portes tu peux entrer dans la paix."

    (Henri Gougaud, Les sept plumes de l'aigle)

    http://www.henrigougaud.info

     

    Cascades de l'Alma (20)

  • Commentaires

    1
    renal Profil de renal
    Lundi 8 Septembre 2014 à 10:00
    Je savais qu'il allait te plaire !!! sachant ta relation avec la nature. Bonne journée et merci de ton passage.
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