16 Mars 2011
Prière d’un petit enfant nègre
Seigneur
Je suis très fatigué
Je suis né fatigué
Et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut
Qui mène à leur école
Seigneur je ne veux plus aller à leur école ;
Faites je vous en prie que je n'y aille plus.
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
Où glissent les esprits que l'aube vient chasser.
Je veux aller pieds nus par les sentiers brûlés
Qui longent vers les mares assoiffées.
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers.
Je veux me réveiller
Lorsque là-bas mugit la sirène des Blancs
Et que l'usine
Ancrée sur l'océan des cannes
Vomit dans la campagne son équipage nègre.
Seigneur je ne veux plus aller à leur école ;
Faites je vous en prie que je n'y aille plus.
Ils racontent qu'il faut qu'un petit Nègre y aille
Pour qu'il devienne pareil aux : messiers de la ville
Aux messiers comme il faut.
Je préfère flâner le long des sucreries
Où sont les sacs repus
Que gonfle le sucre brun
Autant que ma peau brune.
Je préfère
Vers l'heure où la lune amoureuse
Parle bas à l'oreille
Des cocotiers penchés
Écouter ce que dit
Dans la nuit la voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant
Les histoires de Zamba
Et de compère Lapin
Et bien d'autres choses encore
Qui ne sont pas dans leurs livres.
Les Nègres vous le savez n'ont que trop travaillé
Pourquoi faut-il de plus
Apprendre dans les livres
Qui nous parlent de choses qui ne sont point d’ici.
Et puis
Elle est vraiment trop triste leur école
Triste comme
Ces messiers de la ville
Ces messiers comme il faut
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
Qui ne savent plus conter les contes aux veillées
Seigneur je ne veux plus aller à leur école.
(Guy Tirolien Guadeloupe)