17 Octobre 2011
LE GRILLON
Un pauvre petit grillon
Caché dans l'herbe fleurie
Regardait un papillon
Voltigeant dans la prairie ;
L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;
L'azur, le pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ;
Jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs, Prenant et quittant les plus belles.
Ah ! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents ! Dame nature
Pour lui fit tout, et pour moi rien.
Je n'ai point de talent, encor moins de figure ;
Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas :
Autant vaudrait n'exister pas.
Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d'enfants.
Aussitôt les voilà courant
Après ce papillon, dont ils ont tous envie.
Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper;
L'insecte vainement cherche à leur échapper,
II devient bientôt leur conquête.
L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ;
Un troisième survient et le prend par la tête :
II ne fallait pas tant d'effort pour déchirer la pauvre bête.
Oh ! Oh ! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;
II en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde
Pour vivre heureux, vivons caché.
(Jean Pierre Claris de Florian 1755-1794)