Le Monde de la Philo et de la Poésie

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CONTES d'Henri Gougaud (Le maître d'école)

 

Le maître d’école

Intègre, juste, compétent, mais sévère comme l’hiver, tel était ce maître d’école.

- Et en plus, il est increvable, disaient ses élèves, écœurés. Jamais malade. C’est tuant. Toujours là, avec sa badine, à gaver nos pauvres cerveaux de grammaire mathématique, de saintes fractions, de quotients et de divisions à dix chiffres. Pourquoi faut-il que ces gens-là n’attrapent jamais ni zona, ni lumbago, ni choléra ?

Un joli matin de printemps, comme ils allaient traînant les pieds, à leur martyre quotidien :

- J’ai une idée, dit un futé. Notre maître pète le feu. J’ai la parade : enfumons-le, et le temps qu’il se débarbouille, pas d’école, pas de devoirs, pas de bâton, la liberté !

- D’accord, d’accord, piaillent les autres. Mais comment faire ? Explique-nous !

Colloque à mi-voix, dans la cour.

- Vous avez compris ? Tous en place. Le voici. A moi de jouer.

Le tyran scolaire apparaît. Enjambée longue, tête haute. Le futé lui vient droit devant.

- Maître, dit-il, l’air effaré, vous êtes pâle comme un linge. Vous allez bien ? Vous êtes sûr ?

Léger froncement de sourcils.

- Evidemment. Quelle question !

Un petit nuage, pourtant, vient de naître dans son ciel bleu. Il n’y prend garde, il passe outre. Il entre en classe. Il tousse un peu.

- Bonjour, maître. Mais qu’avez-vous ? lui demande, la mine inquiète, un deuxième conspirateur. C’est du charbon, là, sous vos yeux, ou du noir de méchante fièvre ?

- Un peu de fatigue, sans doute. (Sa voix soudain s’est enrouée). Allons, les enfants, au travail.

Murmures parmi les gamins. L’un d’eux traduit, au nom des autres.

- Franchement, vous nous faites peur. Vous êtes jaune, c’est terrible. Il faut appeler le docteur.

- Vous croyez ?

Il a des sueurs. Le chœur unanime :

- C’est sûr !

Le futé porte l’estocade :

- Je vous raccompagne chez vous.

Il le laisse devant sa porte et rejoint sa troupe ravie.

Le maître se traîne à son lit. Il s’affale, les bras ouverts. Il rumine des idées graves. Sa femme rentre du marché.

- Qu’est-ce qu’il t’arrive, mon pauvre homme ?

Il se sent au bout du rouleau. Il balbutie, désabusé :

- Regarde-moi, et tu sauras.

- Oui, bon, d’accord, je te regarde. Et alors ?

- Quoi, tu ne vois pas ? Ma pâleur jaune, mes yeux noirs !

Elle lui prend le pouls, elle le palpe.

- Pas la moindre fièvre, l’œil clair. Qui t’a dit que tu allais mal ?

- Les enfants.

- Et tu les as crus ?

Silence long, soupir profond. « Je marche au soleil, tout va bien, mon cœur, mes membres me le disent. Un grain de doute, c’est la nuit, et je me farcis de peurs bleues. » Il rumine ainsi, un moment. Il dit enfin :

- Je suis stupide.

Elle lui fait une bise au front.

Moi aussi. Nous le sommes tous. Mais tu l’es un peu moins que d’autres, car toi, maintenant, tu le sais.

 

(Henri Gougaud, Le livre des chemins) http://www.henrigougaud.fr/

 

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