3 Janvier 2013
Au creux de l’ombre
Pour épargner l’huile et la mèche,
On n’allumait jamais la lampe
Avant que le soir, bien à l’aise
Se fût installé dans la chambre.
Le buffet était le premier
A entrer sans façon dans l’ombre
Qui allait faire ressembler
La cuisine à un autre monde.
Puis c’était la table où les bols
De lait mettaient une pâleur
Etrange et pleine de douceur
Où semblaient passer des lucioles ;
Par les fentes de son couvercle,
Le poêle, comme un magicien,
Faisait naître partout des cercles
Scintillants et mourant sans fin.
De ma mère, je ne voyais
Plus que les mains continuant
Malgré l’obscurité croissant
A faire ce qu’elle devait.
Et, tranquille, je restais là
Si bien caché au creux de l’ombre
Que l’on aurait pu me confondre
Avec tout ce qui était là.
Maurice Carême
(Extrait de « Souvenir »)