22 Avril 2011
SAGESSES ET MALICES DE LA PERSE
LA PERLE DE LA SAGESSE
Un jour où tous les courtisans étaient réunis au dîwân, pour assister à un spectacle de danses et de chants organisé en leur honneur, le sultan sortit de son trésor la perle la plus précieuse.
Cette pièce exceptionnelle émerveilla toute la cour. Le sultan la présenta à son premier vizir et lui demanda :
— A ton avis, quelle est sa valeur?
- C'est une perle unique, dit le premier vizir, et elle vaut plus que dix mille tonnes d'or.
— Casse-la! ordonna le sultan.
On imagine bien la stupeur de l'assistance et surtout des vizirs. Le premier vizir, très gêné par cette demande pour le moins saugrenue, répondit :
— Comment la casserais-je, moi qui ne désire qu'accroître le trésor de mon seigneur? Comment pourrais-je endommager votre richesse ?
- Bien parlé ! approuva le roi.
Il offrit alors à son premier vizir un vêtement somptueux et, sur le ton de l'amitié, conversa avec lui de choses et d'autres, s'enquit de sa santé, et pour finir il garantit à son ministre une belle carrière. Le sultan et ses vizirs retournèrent ensuite leur attention sur le spectacle. Mais, au bout d'un moment, le sultan se tourna vers son trésorier et lui demanda à brûle-pourpoint :
- Toi qui connais bien la valeur des objets précieux, parle-moi de la valeur de cette perle.
Le trésorier, très fier de l'estime que lui accordait son maître, répondit d'une voix ferme :
- Elle vaut la moitié de ton royaume. Que cette perle soit à l'abri du mauvais œil.
Au grand étonnement de tous, le sultan ordonna à nouveau : « Brise-la ! »
Le trésorier, qui avait vu comment s'était joué le destin du premier vizir, répondit habilement :
- O mon seigneur, je suis le gardien de votre trésor, je ne saurais détruire vos biens. Regardez, même la lumière du soleil n'égale pas la splendeur de cette perle. Comment de mes mains oserais je casser une telle merveille qui vous appartient !
Satisfait par cette marque de dévouement, le sultan combla immédiatement ce ministre de présents. Et, devant la cour réunie, il vanta bien fort la sagesse de son trésorier. Puis se tournant vers le ministre de la Justice, le sultan lui donna le même ordre, ce dernier répondit en manifestant son loyalisme ; « Ô mon roi, je suis juste et casser une telle merveille est injuste»
Quand vint le tour du chef de l'année, celui-ci, montrant héroïquement son sabre, claironna :
« Mon sabre est au service de mon sultan et de ses richesses. Cette arme tuera quiconque voudra détruire les biens de mon sultan.»
Et, ainsi de suite, le sultan mit à l'épreuve tous ses vizirs ; tous, imitant le premier ministre, l'assurèrent fortement de leur dévouement et de leur fidélité ; et tous, de la même façon, reçurent récompenses et honneurs»
Le sultan avait un serviteur, Ayaz, à qui il portait beaucoup d'affection et d'estime. Ce soir-là, Ayaz était assis dans un coin de la salle de réception d'où il avait observé toute la scène.
Soudain, interrompant à nouveau le spectacle, le sultan s'écria : « Approche,
Ayaz ! »
Un silence complet tomba sur la cour; les courtisans, anxieux et curieux, regardèrent Ayaz s'avancer sereinement vers le trône. Le sultan tendit la main, lui présenta la fameuse perle dans l'écrin de sa paume et l'interrogea sur sa valeur
« Elle vaut plus que je ne pourrais le dire », fut la réponse d'Ayaz.
— Casse-la ! lui ordonna le sultan. Aussitôt et sans hésitation, Ayaz posa la perle sur le sol et l'écrasa sous son pied. Les mille morceaux de la perle s'éparpillèrent sur le marbre de la salle. Le silence de l'assistance était tel qu'on pouvait entendre les battements de cœur de chacun. Puis, revenus de leur stupeur, les vizirs attaquèrent le fidèle serviteur :
-Quelle folie ! quelle stupidité ! Quelle hérésie ! Il faut punir Ayaz...
Sans se laisser décontenancer par ce chœur d'invectives, Ayaz s'adressa à la cour :
— Selon vous, mes grands princes, une pierre lumineuse est-elle plus précieuse que l’ordre du sultan ? En vérité, vous avez vu la perle du roi mais non le roi lui-même. Le sultan, ravi, fit asseoir Ayaz à ses côtés.