Le Monde de la Philo et de la Poésie

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Contes d'Henri Gougaud, La fille de l?Auberge

La fille de l’Auberge

" Il était une fois une fille d'auberge. A l'aube elle lavait le plancher, au soir elle faisait la vaisselle, tout au long du jour elle trottait, servait l'un, accourait à l'autre, souriait comme il le fallait, bien qu'elle fût à tous transparente. Personne ne semblait la voir. On criait à boire, à manger, on claquait des doigts, elle venait. Elle n'avait même pas de nom. Qui était-elle ? La servante. Elle traversa ainsi la vie sans que nul ne se soucie d'elle. Elle mourut. On la mit en terre. Elle s'éveilla au paradis.

Elle ne put en croire ses yeux, d'autant qu'elle ne se trouvait pas au paradis de tout le monde. Elle était au jardin des Saints. " Que suis-je venue faire ici ? Se dit-elle. Je ne suis rien. Je ne peux pas être une Sainte ".

Les Bienheureux vinrent à elles, l’embrassèrent, lui firent fête. Elle leur demanda :

- Pourquoi moi ?

Ils répondirent :

- Dieu le sait.

L'un d'eux lui dit qu'à son avis elle avait aimé ses semblables au point d'en oublier sa vie.

- Aimé ? Oh non ! (Elle osa rire. Jamais encore elle n'avait ri). Je manquais de temps pour cela. J'étais une fille d'auberge. J'avais beaucoup trop de travail.

- Quel est ton nom, ma bonne amie ?

- Je n'en ai pas, répondit-elle. Je n'en ai jamais eu, je crois.

Perplexité des Bienheureux. Ils s'assemblèrent tous à l'ombre du plus vieil olivier du Ciel, en conciliabule pensif.

- C'est anormal. C'est impossible. Comment les gens la prieront-ils ? Il faut qu'elle soit Sainte-Quelqu'un !

Une brise émut le feuillage. Chacun se tut, leva le front.

Vint un murmure. C'était Dieu.

- Elle sera la Sainte sans nom. A elle iront toutes les peines, toutes les prières secrètes qu'on ne sait à qui adresser.

Depuis ce jour, à ce qu'on dit, c'est elle, la fille de rien, l'inconnue de tous en ce monde qui accueille les espérances, les désirs profonds, les soucis que l'on ne peut même pas dire. Ce sont, de tous, les plus nombreux. La sainte servante sans nom n'a pas un instant de repos, mais qu'importe, elle est faite ainsi, toujours à servir, même au Ciel. "

(Henri Gougaud, Le livre des chemins)

 

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