13 Avril 2011
Extraits du livre « Augustin et la sagesse »
De Lucien Jerphagnon
Résumé : A travers les livres, les mots et les siècles, saint Augustin continue de nous parler. A sa manière, il est bien cet éternel contemporain qui s’adresse au lecteur d’aujourd’hui. Car Augustin sait comme nul autre partager à la fois son parcours d’homme et de croyant, ses doutes et ses émerveillements, son angoisse devant la fin d’un monde et son espérance d’une cité nouvelle.
Mais plus encore sans doute, comme le révèle ici Lucien Jerphagnon avec une complicité pleine d’humour, Augustin nous touche par sa quête éperdue de la sagesse, aux confins de la culture antique et de l’apparition du christianisme. Encore et toujours présent aujourd’hui, il intrigue, il interpelle, il force à réfléchir. Et il indispose les gens très sûrs d’être dans le vrai.
« Comprendre Augustin, c’est tenter de savoir ce qu’il savait. Efforçons-nous donc de comprendre comment, tout au long des âges, s’était mise en place la sagesse telle qu’il la découvrait un jour de 372, et de noter au passage ce qu’il pensait de tel ou tel de ces hommes que par tradition l’on considérait comme des sages. »
« Augustin se découvrit à l’âge de dix huit ans, une subite passion pour la sagesse. Car ce n’est pas dans la bible qu’il en trouvait le goût, mais bien dans Cicéron. Cicéron, un politicien romain féru de philosophie grecque, décédé quelque quatre cent quinze ans plus tôt. »
« Le vrai savoir ne consiste pas à débiter par cœur un résumé de physique, ni à trouver l’argument qui porte, vrai ou faux. Le vrai savoir consiste à poser les bonnes questions. A regarder, pour une fois, dans le bon sens, du moins ceux qui ont envie de sortir du noir. Si vous vous en donnez la peine, vous verrez alors, vous verrez peut être que le bien est toujours au-delà. Tant que vous n’aurez pas intégré cela, ce que vous pourrez dire et rien, ne sera la même chose, et ce que vous ferez ne vaudra pas mieux. »
« Seul ou presque contre tous dans la cité, Socrate avait tiré la sagesse vers le haut. Augustin l’évoque plus d’une fois, lui attribuant notamment la remise en ordre de la philosophie dans son ensemble, et la restauration des mœurs. »
«Car avec Platon, la sagesse ne perd jamais l’espoir de la cité idéale. Sept siècles plus tard, Augustin dira grand bien de Platon, « ce noble philosophe », « surpassant et de beaucoup tous les autres parmi les païens ». Ce fut « l’homme le plus sage et le plus savant de son temps », « la figure la plus pure et la plus lumineuse de la philosophie », dont l’éclat incomparable éclipse tous les autres. »
« Bien plus tard, Augustin s’adressant à ce Dieu qu’enfin il sait présent, il affirme : « c’est ainsi que je fus averti par ces livres d’avoir à revenir à moi, et sous ta conduite j’entrai dans l’intime de moi-même. » Là tout est dit, car dans cette vie intérieure, ce qu’il découvrait, c’était un climat nouveau, comme un supplément d’âme dont aucune philosophie jusqu’alors ne lui avait suggéré l’idée. C’était du dedans de soi qu’il lui semblait maintenant découvrir le monde extérieur : avec le regard de son âme. Car n’était-ce pas de cette présence immanente et transcendante en lui, de cette présence, dira-il, « plus intime à moi que je ne le suis moi-même », que procédait l’existence du monde en même temps que sa propre existence, et la connaissance qu’il en prenait ? »
« Une autre sagesse dont le principe n’était plus seulement le savoir, mais la foi. Or il lui fallait encore apprendre, et pas seulement dans les livres, que la foi ne se conquiert pas, mais elle se cherche. Et un beau jour, on découvre qu’elle est là, puisqu’on se prend à espérer en quelque amour au-delà de tout en ce monde. Un amour d’où procéderaient les autres amours. »
« C’est en lui-même qu’il avait fini par rencontrer la divine sagesse qui désormais éclairait toute choses en sa vie. Et c’est précisément à l’accueil de cette grâce-là qu’il voudra disposer ceux dont il aura un jour la charge. »
« Augustin n’en finirait jamais de rendre grâces à ce Dieu qui ne l’avait pas quitté des yeux alors même qu’il errait si loin. A ce Dieu qui l’attendait alors qu’il traînait indéfiniment à savourer de fausses joies. Quand une bonne fois on se prend à aimer les jours d’avant sont du temps perdu. « Tard je t’ai aimée, beauté si ancienne et si neuve… » Mais enfin : « Tu as ébloui mon regard infirme par la force de ton rayonnement. »
« Augustin, qui quatorze années durant a parcouru toutes les sentes des humaines sagesses, et qui cite tant et tant de philosophes sans pour ainsi dire s’égarer, il sait bien que tous ont en commun de viser à une vie meilleure, ou à tout le moins éprouvée comme telle. Le bonheur donc. Pour soi, mais quand on se veut chrétien, pour les autres aussi. La sagesse ne consiste donc pas à s’absenter d’un monde dans lequel on se découvre engagé sans l’avoir voulu, mais d’abord à mieux connaître ce monde-là, afin de s’y insérer de façon plus efficace, et libre d’une liberté authentique. Et pour un chrétien, afin d’y rayonner l’amour dont lui-même se sait aimé. »
« Si Augustin est une mine pour les historiens de l’Antiquité, c’est qu’il est un homme de son temps, dans lequel il s’implique au plus près. L’énorme bibliothèque qu’l a laissée, traités philosophiques ou théologiques, semons, correspondances, tout cela constitue un véritable gisement de renseignements, et de première main, sauvés comme par miracle par Possidus de Calama en pleine invasion vandale. Sans ces livres là, rescapés d’une sorte de juin 1940 à l’échelle du monde, nous en saurions encore moins sur la vie de ces temps-là, et différentes seraient sans doute nos façons de penser. Et même, en serions-nous ici à nous poser des questions sur ce qu’est ou n’est pas la sagesse d’Augustin. »
« «Tu me dis où est ton Dieu ? » Je te réponds : »Où es-tu toi-même ? » Tu me dis : « Montre-moi ton Dieu » je te dis « Montre-moi ton âme ». Et s’il fallait ici résumer la sagesse d’Augustin en une phrase, on dirait :
« Cherchons ce qu’il y a de meilleur en nous, et de là efforçons-nous d’atteindre ce qu’il y a de meilleur que tout. »
« Ce n’est pas le moindre des dons de la sagesse que de se voir tel qu’on fut, tel qu’on est. Et cela vaut pour tout homme venant en ce monde. »
« La sagesse n’est ni un point d’arrivé, ni un point de départ, mais un désir incessant né d’une rencontre entre les êtres humains tels qu’ils sont, avec leur faiblesse congénitales, leur viscérale propension au refus, et un Dieu dont la nature , la surnature est d’aimer et de susciter la réciprocité de l’amour. Une rencontre personnelle entre des êtres humains dont l’intelligence est ce qu’elle est, sans plus, et un Dieu dont le Verbe est sagesse en personne, et qui offre à chacun la grâce de comprendre et d’aimer. Et donc, se comporter en sage, ce serait tenter de répondre de son mieux, à tout instant et pas seulement à ses moments perdus, à ce don inespéré : connaître et aimer comme l’humaine nature y échouait depuis Adam. »
« Avec Augustin la sagesse n’était pas l’affaire d’une élite. C’était l’affaire de tout le monde. »
« Ainsi la sagesse est une affaire de vie quotidienne. Elle s’exerce dans cette durée collective, redisons-le, où chaque durée personnelle unique s’inscrit, s’affirme ou se dilue. »