• Le poète et la foule

     

    Le poète et la foule

     

    La plaine un jour disait à la montagne oisive :
    " Rien ne vient sur ton front des vents toujours battu ! "
    Au poète, courbé sur sa lyre pensive,
    La foule aussi disait : " Rêveur, à quoi sers-tu ? "

    La montagne en courroux répondit à la plaine :
    " C'est moi qui fais germer les moissons sur ton sol ;
    Du midi dévorant je tempère l'haleine ;
    J'arrête dans les cieux les nuages au vol !

    Je pétris de mes doigts la neige en avalanches ;
    Dans mon creuset je fonds les cristaux des glaciers,
    Et je verse, du bout de mes mamelles blanches,
    En longs filets d'argent, les fleuves nourriciers.

    Le poète, à son tour, répondit à la foule :
    " Laissez mon pâle front s'appuyer sur ma main.
    N'ai-je pas de mon flanc, d'où mon âme s'écoule,
    Fait jaillir une source où boit le genre humain ? "

     

    Théophile Gautier.

     

    Morne Larcher Martinique


     


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