• LE PARDON DE MICHEL HUBAUT

    LE PARDON SELON MICHEL HUBAUT

     

    Ceux qui pardonnent sont les guérisseurs de l'humanité. Plutôt que de ressasser l'offense ou le dommage, plutôt que de rêver de revanche ou de vengeance, ils arrêtent le mal à eux-mêmes... Pardonner, c'est l'acte le plus puissant qu'il soit donné aux hommes d'accomplir.

     

    L'événement qui aurait pu faire grandir la brutalité dans le monde sert à la croissance de l'amour. Les êtres blessés qui pardonnent transforment leur propre blessure. Ils guérissent là où ils sont la plaie qui défigure le visage de l'humanité depuis ses origines : la violence. L'homme qui pardonne ressemble à Jésus. L'homme qui pardonne rend Dieu présent.

     

    Le pardon est une démarche individuelle, pas collective. Le pardon est d’abord une libération intérieure. « Il s’agit de libéré son cœur de la haine, ce poison. La vie tourne à l’esclavage si on n’aime pas les autres, si on n’a pas d’humanité. Le pardon, c’est à la fois l’apaisement, la liberté, et davantage de disponibilité pour s’ouvrir au monde ».

     

    Le pardon est une affaire personnelle, privée, intime et concerne la conscience de chacun.

     

    LE PARDON DE MICHEL HUBAUT

    HISTOIRE

     

    Un soir, du coté de Notre-Dame-de- Harissa qui surplombe la majestueuse baie de Jounieh, chez des amis libanais qui avaient invité de nombreux voisins, pour clore notre échange fraternel, quelqu’un proposa de lire une page d’Évangile. Feuilletant son livre, il trouva le passage prévu pour la liturgie du jour. Il hésita quelques secondes, puis après un rapide regard circulaire sur le groupe attentif, se lança dans la lecture du passage ,« Pierre s'approcha de Jésus et lui dit : Seigneur, combien de fois devrai-je pardonner les offenses que me fera mon frère? Irai-je jusqu'à sept fois? Jésus lui répond: Je ne te dis pas jusqu'à sept fois mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois » Ces paroles furent suivies d'un long silence douloureux. Le peu que j'avais appris de la souffrance de ces hommes et de ces femmes, meurtris par tant d'années de guerre où ils avaient tous perdus un ou plusieurs membres de leur famille, me fit saisir l'énormité de cette phrase. Ce texte d'Évangile m'apparut soudain inhumain. Comment peut-on proposer une telle parole à ces gens écrasés par une situation qu'ils n'ont pas voulue et pour laquelle ils ne peuvent rien ? Maîtrisant leur peine, ils osèrent parler. Et j'écoutai, médusé, ces voix brisées par tant de malheurs, reconnaître humblement que ce pardon ne pouvait plus jaillir naturellement de leur cœur. Trop de haine, de sang et de morts les avaient broyés. Après cet aveu sans fard, ils se mirent spontanément à prier, demandant à Dieu de faire naître en eux, par la force de son Esprit, cet impossible pardon. La vérité et la grandeur de leur prière étaient d'une densité impressionnante. En fin de soirée, tard dans la nuit, l'un d'eux me raccompagna en voiture. Au moment de nous séparer, il me tendit un peu d'argent: « Mon père, j'aimerais que vous disiez une messe pour mes deux fils, morts à dix-sept et vingt ans. » Et  II, ajouta, après quelques secondes d'hésitation : « Ils ont été torturés .On leur a arraché les yeux et la langue ! » Et avant même que j'aie eu le temps de réagir, abasourdi par une telle atrocité, il me tendit un autre billet en disant: « Et vous direz une autre messe pour ceux qui les ont tués! » Aucun son  ne put sortir de ma gorge. Je lui serrai simplement la main longuement, en silence. Cette nuit-là, avant de me coucher, malgré l'horreur de tout ce que j'avais entendu, une immense action de grâces s’éleva de mon cœur. Qu'il devient grand, Seigneur, l'homme blessé qui sait encore pardonner! Je prenais soudain conscience que le pardon peut devenir une des plus belles manifestations de l'Esprit dans le cœur d'un homme. Car le geste de cet homme n'était pas à mesure humaine! J’ai compris, ce soir-là, que « pardonner » c'était vraiment «  avoir part-au-don » de Dieu, participé à la gratuité de son amour infini. Notre logique humaine, celle de la spirale mortelle de la haine, de la rancune qui engendre la vengeance du mal qui engendre le mal est, par le « pardon », brutalement  déraisonnablement rompue.

    Ce qui pourrait apparaître comme une faiblesse, une capitulation, devient soudain une marche à contre-courant, un passage inattendu de l'Esprit. Quel saut incroyable! Passer de notre logique humaine à celle de Dieu, à la logique de l'amour qui, un jour, sur le Calvaire, est mort en criant : «  Pardonne-leur ! »

    Devant de tels hommes, habités par l'Esprit, les petits affronts, les petites offenses que notre orgueil amplifie pour en faire des affaires d’honneur, apparaissent d’une pitoyable mesquinerie. Le pardon  de ce chrétien libanais, j’en suis sûr s’enracinait profondément dans le cœur de Dieu. Grâce à lui j’ai vu la foi rompre le cycle infernal de la mort. Et je me suis endormi en pensant que tant qu’il y aura  des hommes de cette trempe, malgré les tueries, les boucheries les plus barbares, l’espérance ne désertera pas notre terre.

    Nous ne devons pas nous scandaliser du fait que le désir de vengeance soit  le plus spontané au cœur de l’homme. Il nous faut commencer par reconnaître que la démarche psychologique et spirituelle du pardon est un processus complexe, plus ou moins long et difficile. Il est souvent le fruit d’un véritable cheminement intérieur. C’est vrai pour tous, croyants ou non.

    Et pourtant le pardon est nécessaire pour guérir et grandir, l’homme ne peut pas vivre, retrouver une certaine paix intérieure  et construire l’avenir sans pardon.

     

    Une autre alternative au pardon, et c'est la plus instinctive et la plus fréquente, est de se venger. Elle donne à l'offensé le sentiment de ne plus se sentir seul dans le malheur. Mais la satisfaction que procure la vengeance est de très courte durée. Elle ne contribue en rien à guérir la blessure de l'offensé, au contraire elle l'envenime. Nous sommes là dans une attitude de justice instinctive qui vise à rétablir une certaine égalité fondée sur la souffrance infligée d'une manière réciproque. Dans le cadre de la  vengeance, offenseur et offensé s'engagent dans une escalade sans fin. L'obsession de la  revanche rend la personne prisonnière d'une spirale de violence. Seul le pardon peut briser ce cycle infernal de la vengeance et créer de nouveaux modes de relations humaines.

     

    Pardonner n'est pas oublier L'une des confusions les plus fréquentes est d'identifier le pardon et l'oubli. Très souvent, quand quelqu'un dit: « Ça, je ne pourrai jamais le pardonner! », il pense: « Ça, je ne pourrai jamais l'oublier! » Or le pardon n'est pas l'oubli et oublier  ce n'est pas pardonner. À l'entrée de la crypte du Mémorial de la Déportation à Paris figure l'inscription : « Pardonne. N'oublie pas. »

     

    Pardonner ne signifie pas nier les fait. Une autre attitude, assez proche de l'oubli, est d'essayer de nier les faits, de faire comme si rien se s'était passé ! « Tourne la page! » « Passe l'éponge! » « Ne t'arrête pas à cet affront, continue ta vie ! » Voilà une manière de parler et de faire qui conduit à des impasses. Il est vrai que lorsqu'on subit un coup dur, une des réactions de défense les plus fréquentes est de se blinder, de se cuirasser contre la souffrance. Mais cette manière d'annuler l'événement rend toute guérison impossible, tant que l'on refusera de reconnaître l'offense avec la souffrance profonde qui l'accompagne.

    Toutes nos facultés sont mobilisées dans le pardon : la sensibilité, le cœur, l’intelligence, le jugement, l’imagination.

    Quand dans un couple, l’un des conjoints fait l’aveu d’une infidélité passagère, le pardon n’élimine pas la blessure. L’acte de pardonner ne consiste pas à rétablir les mêmes rapports que nous avions avant la faute. Il est impossible de faire comme si rien ne s’était passé ! On peut pardonner, rétablir la relation mais sur de nouvelles bases, sans doute moins idéalisées.

    Enfin certain vous diront que « le pardon n’appartient qu’a Dieu » Ce qui est encore une manière de se décharger sur Dieu de notre propre responsabilité. Or, comme toujours Dieu ne fait pas à notre place ce qu’il désire faire avec nous. Le pardon relève à la fois de l’humain et du divin. La nature et la grâce ne s’éliminent pas mais se complètent. Il est vrai que le pardon n’est pas à mesure humaine et que l’homme, sans la force de l’Esprit, est incapable de pardonner, mais c’est bien l’homme, qui éclairé, animé par l’Esprit, qui doit prendre l’initiative de pardonner.

    Prendre la décision de ne pas se venger le processus du pardon ne peut commencer aussi longtemps que je nourris le désir de me venger, tant que je continue  à me complaire et à m'épuiser dans la situation de victime. Ce désir de vengeance empêche toute cicatrisation - ma blessure, concentre toute mon énergie sur le passé, étouffe le présent et bouche mon avenir.

    Ce désir de vengeance m'entraînera dans cette ronde infernale que nous avons évoquée, nourrira en moi le ressentiment,

    Je dois reconnaître lucidement et assumer la souffrance que cette offense m’a causée. Cette étape des émotions repérées et maîtrisées est importante, car nous avons parfois tendance à les enfouir. Il importe donc de bien identifier nos blessures, en sachant que les plus difficiles à reconnaître sont celles qui rejoignent parfois d’anciennes blessures que la moindre offense réveille. C’est assez fréquent que l’incapacité à pardonner trouve son origine dans de vieilles blessures ou frustrations de l’enfance. Il ne s’agit ni de grossir ni de nier nos blessures, mais de les reconnaître pour les  assumer et les dépasser.

     

    Toute vie de couple, par exemple, apporte ses joies et ses blessures. L'accumulation de petites frustrations, de petits Raccrochages divers est un des plus grands obstacles à la communication chez le couple. C'est pourquoi il est recommandé de ne pas laisser pourrir en nous nos petites colères ou exaspérations mais de les exprimer de la manière la plus constructive possible. Car ce qui détruit peu à peu l'amour ce n'est pas la colère, mais la peur de s'ouvrir à l'autre ou Renfermement dans un silence buté.

    Il n'est jamais facile d'assumer notre finitude d’accepté de ne pas être parfait (cela s'appelle l'humilité dans la tradition chrétienne). Tous les psychologues vous le diront la  première démarche nécessaire pour trouver un équilibre intérieur est l'acceptation de soi. Celui qui ne s'aime pas  et ne  se pardonne pas ne pourra pas non plus aimer et pardonner à autrui Nous avons tous à nous pardonner à nous même de n'être pas l'homme ou la femme que nous rêvions, d’être limités en tel ou tel domaine, et d’avoir échoué sur le plan professionnel ou sentimental … bref d’être simplement des hommes et non des dieux.

     

    Je peux aussi tenter de trouver un sens positif à cette blessure ou offense vécue. Comment vais-je me servir de cette épreuve ou de cet échec  pour grandir ? Car au sein de toute épreuve ou de tout échec, est cachée une fécondité secrète, des éléments de progrès. Combiens de personnes ont vu leur vie prendre une nouvelle direction à la suite d’une grande épreuve, ont grandi intérieurement et donné un nouveau sens à leur vie.

     

    Le pardon est une expression extrême  de l’amour puisqu’il s’agit  d’aimer malgré l’offense subie, ce qui effectivement  demande des forces spirituelles  qui dépassent les forces humaines.

     

    Finalement, il faut bien admettre que si nous tentons de comprendre  et  d'expliquer  le  pardon   sur  le  seul  plan humain, nous nous heurtons toujours à des impossibilités diverses ou à des effets pervers. Le pardon est vraiment au carrefour de l'humain et du divin. Car c'est bien l'homme qui doit pardonner, mais il ne le peut que soutenu par la grâce. Le pardon évangélique suppose que l'homme entre dans une nouvelle dimension des relations humaines : celle la gratuité de Dieu, de l'amour désintéressé du Christ.

    L'acte de pardonner n'entraîne pas automatiquement l'acte de se réconcilier, contrairement à ce que certains « spirituels » écrivent parfois. Pardonner ne consiste pas à revenir à la case départ comme si rien ne s'était passé! Sans doute la suite souhaitable du pardon est la réconciliation, surtout pour des conjoints, des parents, des enfants, des amis, des collègues de travail. Mais, même si la réconciliation est possible, il ne faut pas s'imaginer qu'elle implique de se retrouver comme avant la faute. On ne peut pas reprendre la relation, comme si rien ne s'était passé, mais il  faut l'approfondir, lui donner de nouvelles bases, une autre forme.

    Même si je ne peux ne pas aller jusqu'à la réconciliation, le pardon reste bénéfique pour moi-même : il me réconcilie avec moi-même, je ne suis plus dominé par le ressentiment et l’esprit de vengeance, je ne juge plus mon offenseur  et je peux lui souhaiter dans mon cœur le plus grand bonheur possible.

    C’est la chaleur de l’amour qui fait l’essentiel de la croissance de tout être humain. L’homme ne grandit ne progresse que devant ceux qui croient en lui, lui font confiance. C’est vrai de l’enfant et de l’école. C’est aussi vrai de l’adulte dans son travail ou sa vie relationnelle. C’est vrai pour celui qui est en prison pour expier ses méfaits.

    Pardonner, c'est donner à chacun le temps de grandir, de chanceler, de se relever, et de tomber encore; c'est accepter que sa croissance, comme la nôtre, est une très longue histoire et même une sacrée bataille contre de multiples forces contraires, mauvaises, intérieures et extérieures. « Je suis bien pire que vous ne croyez et bien meilleur que vous ne pensez », disait Léon Bloy.

     

    Pardonner, c'est être convaincu que notre frère, notre conjoint, nos enfants, celui qui nous a offensés, ont besoin d'être aimés pour devenir eux-mêmes, croire que la qualité de notre amour est le facteur essentiel, déterminant de leur croissance. Nos frères attendent souvent qu'on les aime pour devenir meilleurs. Et nous, nous attendons qu'ils soient meilleurs pour les aimer!

     

    Le regard de confiance est celui qui ne réduit jamais l'autre à ses défauts dominants, à son passé, à son handicap ou à son blocage psychologique. Faire confiance en l'autre pour l'aider à grandir, c'est prendre la décision de mettre davantage en lumière ses efforts, ses progrès que ses déficiences. Savoir s'émerveiller de ce que les autres font de bien et savoir le leur dire.

     

    Si la flatterie est méprisable, par contre les compliments et les félicitations mérités sont des facteurs de transformations parfois étonnantes, tandis que la critique engendre souvent chez l’autre le découragement et la régression.

     

    Mais, ne rêvons pas! Il est vrai que, parfois, des êtres sont tellement blessés dans leur corps, dans leur cœur, que même notre amour ou notre pardon semblent incapables de guérir les blessures profondes de leur être cassé. Douloureux constat d'impuissance mais qui ne doit pas engendrer une mauvaise culpabilité. Quand on a fait tout ce qui était en notre pouvoir d'homme, pardonner consiste alors à le confier, par la prière, à la miséricorde de Dieu.

     

    Mais il y a beaucoup plus d'hommes malheureux, blessés, mal dans leur peau, que d'hommes foncièrement méchants, tant  d'hommes et de femmes ont une image si négative d'eux-mêmes - celle que leur renvoient souvent les autres! Qu’animés inconsciemment par un instinct de mort, ils finissent par se détruire eux-mêmes.

     

    La tradition chrétienne n’oppose pas justice et charité, car le pardon vise la personne et non l’acte mauvais qui reste mauvais et en tant que tel mérite une sanction.

     

    L’homme est sans cesse tenté de se faire  le centre absolu et de se substituer à Dieu. Il n’a pas compris que l’amour du Père est sa source, son identité, sa vie, sa croissance, sa raison d’être, son bonheur. Il n’a pas saisi que l’amour de Dieu n’aliène pas sa liberté mais la construit, structure tout son être.

     

    Faire l’aveu de son péché à quelqu’un qui vous aime n’est jamais honteux mais libérateur. L’amour de Dieu est vulnérable comme celui d’une mère, il est ému jusqu’aux entrailles, quand un de ses enfants vient vers lui, déchiré et lui fais l’aveu de sa misère. Dieu ne veut jamais l’humiliation de sa créature. Il est plus préoccupé de notre avenir, de notre devenir que de notre passé. Il regarde toujours devant et jamais en arrière. J’arriverais  probablement au ciel avec des sparadraps un peu partout et des cicatrices plein le cœur. Qu’importe ! L’essentiel est d’y arriver !Non

    Oui faire l’aveu de sa faute devant l’amour de Dieu n’aliène pas l’homme mais le grandit et le libère.

    LE PARDON DE MICHEL HUBAUT


  • Commentaires

    1
    Slam Foresse
    Vendredi 13 Juillet 2018 à 14:40
    J'aime le livre de Michel Hubaut dénommé Pardonner, oui ou non? C'est un livre qui représente un mystère de la vie, le savoir et la raison du bon vivre. J'aimerais si possible avoir ce livre en fichier numérique.
      • Vendredi 13 Juillet 2018 à 15:16

        je suis désolée, je n'ai pas lu ce livre. Il se trouve sur Amazon, mais en format broché. je ne sais pas où  le trouver en fichier numérique. Merci de votre visite

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