• D’un vanneur de blé aux vents

     

    A vous, troupe légère,

    Qui d’aile passagère

    Par le monde volez,

    Et d’un sifflant murmure

    L’ombrageuse verdure

    Doucement ébranlez :

     

    J’offre ces violettes,

    Ces lis et ces fleurettes,

    Et ces roses ici,
    Ces vermeillettes roses,
    Tout fraîchement écloses,
    Et ces œillets aussi.
     

    De votre douce haleine

    Eventez cette plaine,

    Eventez ce séjour,

    Cependant que j’ahanne 

    A mon blé que je vanne

    A la chaleur du jour

     

    (Joachim du Bellay)

     


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  •  

    Chemin de campagne 

     

    Je trace mon chemin 

    De labours solitaires ; 

    C'est un sentier d'achèvement 

    Qui m'exhorte à louer 

    Au plus profond de moi 

    La patience de ma terre. 

     

    Je m'ouvre aux appels de septembre : 

    J'entends l'humus en son repos 

    Fixer les échéances saisonnières 

    Et dire sa fidélité 

    Au destin des semailles. 

    Le soleil est chair de sa chair, 

    Promesse des moissons 

    Dont les racines 

    Déjà sécrètent les couleurs. 

    Mais il faudra laisser passer les neiges 

    Avant les grandes éclosions. 

     

    Je n'imagine pas, 

    Je transcris les pouvoirs 

    Des sèves qui nous hantent 

    Et parcourent nos veines 

    Pour engendrer d'autres instants de vivre. 

    Je n'imagine pas, 

    Je dessine une carte paysanne 

    Dont les chemins appartiennent au ciel 

    Comme ceux qui s'allongent sous mon pas. 

    (Edmond Vandercammen)  

     


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  • L’ombre 

    Aux jours où la chaleur arrêtait toute vie, 

    Quand le soleil, sur les labours exténués, 

    Pressait contre son cœur le vignoble muet,  

    A l'heure où des faucheurs l'armée anéantie 

    Écrasait l'herbe sous des corps crucifiés,  

    Seul debout, en ces jours de feu et de poussière, 

    En face du sommeil accablé de la terre, 

    Assourdi par le cri des cigales sans nombre, 

    Je cherchais votre cœur, comme je cherchais l'ombre. 

    (François Mauriac) 

    (Thorame-Basse)


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  • Comment 

     

    Il y aura toujours dans l’automne 

    Une pomme sur le point de tomber. 

    Il y aura toujours dans l’hiver 

    Une fontaine sur le point de geler. 

    Que les corbeaux 

    S’enfuient de peur à notre approche, 

    C’est leur droit. Nous pouvons aller. 

    De l’espoir il y en aura 

    Sur les rameaux. 

    Et puis, nous ne sommes pas malades 

    De la terre. 

    L’ennemie  

    Nous le connaissons. 

    (Eugène Guillevic) 

     


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  • Paysage 

     

    Pas une feuille qui bouge, 

    Pas un seul oiseau chantant, 

    Au bord de l'horizon rouge 

    Un éclair intermittent ; 

     

    D'un côté rares broussailles. 

    Sillons à demi noyés, 

    Pans grisâtres de murailles, 

    Saules noueux et ployés ; 

     

    De l'autre, un champ que termine 

    Un large fossé plein d'eau, 

    Une vieille qui chemine 

    Avec un pesant fardeau ; 

     

    Et puis la route qui plonge 

    Dans le flanc des coteaux bleus, 

    Et comme un ruban s'allonge 

    En minces plis onduleux. 

     

    Théophile Gautier  

     


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  • On entendait le cri 

     

    On entendait le cri perçant des martinets 

    De la chambre déserte et close où je venais 

    Quand le soleil de juin accablait les sureaux 

    Et que les magnolias mouraient dans l'air trop chaud 

    Avec les lis brûlés et les rosés trémières. 

    La chambre avait un vieux bureau lourd de poussière, 

    D'anciens dessins coloriés pendaient aux murs 

    Naïvement et, sur les chaises dépaillées, 

    Je me souviens d'un triste herbier, doux livre obscur, 

    Avec ses fleurs cueillies aux collines mouillées 

    Les soirs d'automne ou les après-midi d'été 

    Par les jardins déserts et dans l'aridité 

    De la campagne avec le cri sec des criquets. 

    Tout cela somnolait dans la chambre endormie. 

    Or je sais que si j'y retournais à présent 

    Je trouverais, comme jadis à mes treize ans, 

    Aux pages du vieux livre mon enfance blottie 

    Presque étrangère sous la poussière du temps. 

    Francis CARCO 


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  • ODELETTE 

    Un petit roseau m'a suffi 

    Pour faire frémir l'herbe haute 

    Et tout le pré 

    Et les doux saules 

    Et le ruisseau qui chante aussi ; 

    Un petit roseau m'a suffi 

    A faire chanter la forêt. 

    Ceux qui passent l'ont entendu 

    Au fond du soir, en leurs pensées, 

    Dans le silence et dans le vent, 

    Clair ou perdu, 

    Proche ou lointain... 

    Ceux qui passent en leurs pensées 

    En écoutant, au fond d'eux-mêmes. 

    L'entendront encore et l'entendent 

    Toujours qui chante. 

    Il m'a suffi 

    De ce petit roseau cueilli 

    A la fontaine où vint l'Amour 

    Mirer, un jour, 

    Sa face grave 

    Et qui pleurait, 

    Pour faire pleurer ceux qui passent 

    Et trembler l'herbe et frémir l'eau ; 

    Et j'ai, du souffle d'un roseau. 

    Fait chanter toute la forêt. 

     (Henri de Régnier)  

     


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  • Un oiseau

     

    Un oiseau chante à sa façon 

    pour accompagner le maçon 

    en haut de son échafaudage 

    le coq souffle dans son alto 

    la dame éreinte son piano 

    et ça fait un sacré tapage 

    à quoi s'ajoutent le marteau 

    du forgeron et les autos 

    et les camions dans le virage 

    sans parler de dix-huit radios 

    tévés ou transistors ruraux 

    on croit entendre vingt orages 

    Assis sur son banc un vieux sourd 

    bourre une pipe d'un doigt gourd 

    en écoutant de son village 

    le bruissement très très lointain 

    qui s'accorde tout à fait bien 

    avec le calme de son âge 

     (Raymond Queneau) 

     


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  • IL FERA LONGTEMPS CLAIR CE SOIR.. 

     

    Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent, 

    La rumeur du jour vif se disperse et s'enfuit, 

    Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit, 

    Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent... 

     

    Les marronniers, sur l'air plein d'or et de lourdeur, Répandent leurs parfums et semblent les étendre ; 

    On n'ose pas marcher ni remuer l'air tendre 

    De peur de déranger le sommeil des odeurs. 

     

    De lointains roulements arrivent de la ville... 

    La poussière, qu'un peu de brise soulevait, 

    Quittant l'arbre mouvant et las qu'elle revêt, 

    Redescend doucement sur les chemins tranquilles. 

     

    Nous avons tous les jours l'habitude de voir 

    Cette route si simple et si souvent suivie, 

    Et pourtant quelque chose est changé dans la vie, 

    Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir... 

     

    (Anna de Noailles) 

    (Guadeloupe)

     


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  • PAYSAN

     

    Rien qu'à le voir, on sait qu'il a conduit des charretées de paille, accompagné le balancement liturgique des attelages. Il a la démarche en prose du Magnificat. Vieux renard, il sait faire chanter le vin. Son champ est une ville. Il porte l'heure sur l'épaule, l'aube à l'encolure. Ses frissons peuplent les peupliers. A sa lèvre naît l'églantine. Intact comme une journée, il construit.

     

    (Jean Malrieu)

     


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