• Contes d'Henri Gougaud : Les deux qui ne s?aimaient pas

    Les deux qui ne s’aimaient pas

    Un prince, un beau matin, s’en fut baguenauder au marché de la ville avec, pour tout bagage, un sac à provisions. Il aimait se frotter aux gens de son royaume, écouter leurs propos, soupeser les pastèques et flairer les salades. Il avait donc laissé son escorte chez lui et, l’oreille aux aguets, il allait çà et là parmi les étalages quand un bruit de dispute attira son regard.

    - C’est à moi ! disait l’un.

    - Non, à moi ! disait l’autre.

    - J’ai le droit !

    - Moi aussi !

    - Mauvais bougre !

    - Bandit ! Bref, deux marchands de fruits s’insultaient hardiment en brandissant leurs poings à l’ombre d’un platane. Le prince vint à eux, en arbitre apaisant. L’un lui rugit au nez :

    - Il veut plus que sa part !

    - C’est la mienne qu’il veut ! Lui brailla son compère. Le peuple s’attroupa, les gendarmes survinrent et le prince, pensif, s’en revint au palais.

    Il était fin joueur autant que pédagogue. Le lendemain matin il se fit amener les deux disputailleurs et leur tint ce discours :

    - Il me plaît de vous faire une grande faveur. Que voulez-vous, messieurs

    J’ai tout. Demandez donc, et vous serez comblés. J’aimerais cependant préciser ce qui suit : pour formuler un vœu

    , vous avez vingt secondes. Au-delà de ce temps, si vous restez muets, je vous ferai jeter tous les deux en prison.

    Enfin notez ceci : le premier choisira, trésors, terres, châteaux, bref tout ce qu’il voudra, et le deuxième aura la même chose en double. Avez-vous bien compris ? Parlez, je vous écoute.

    « Je me tais, se dit l’un. Deux fois plus qu’il n’aura, voilà qui me plairait ! » « Qu’il fasse sa demande, pensa l’autre. Que ce prétentieux-là soit plus riche que moi m’insupporterait trop. » « Mon Dieu, supplia l’un, que le bonheur le tue si je parle d’abord. » Passèrent dix secondes, et douze, et quinze et seize.

    Le regard du second enfin s’illumina. Il ricana :

    - Seigneur, qu’on m’arrache l’œil droit.

    On le fit à l’instant. Un borgne et un aveugle, au soleil de midi, sortirent du palais.

     

    (Henri Gougaud)

    (Site : www.henrigougaud.com)

     

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  • Commentaires

    1
    Pestoune
    Samedi 18 Avril 2015 à 11:04
    Whaou, c'est cruel. Et en même temps, c'est tellement ce que l'on rencontre dans la vie : des gens envieux, qui ne supportent pas le bonheur des autres. Et c'est triste parce que ces gens-là ne seront jamais heureux car ils trouveront toujours des gens qui ont plus qu'eux. Pourtant ils passent à côté de l'essentiel : le trésor qu'ils ont en eux. Le trésor que représente l'amour, un sourire, la joie... tout ce qui est gratuit et qui apporte tellement de satisfactions. Merci de ce joli partage, Renal.
      • renal Profil de renal
        Samedi 18 Avril 2015 à 14:44
        Je suis d'accord avec toi la jalousie n'est pas bonne pour la santé.
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